13 - Ichika

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Le corps endolori par sa séance de musculation, Ichika prit un moment pour respirer profondément, étendue sur son tapis de gym. S'il n'avait pas plu aussi dru, elle serait bien allée courir dans Liège. Frey l'aurait accompagnée, comme elle l'avait fait chaque fois depuis leur cohabitation. Elle avait tenu le rythme d'Ichika sans problème. Même si elles ne parlaient pas spécialement, c'était agréable de courir en duo.

Kassandra n'avait jamais été portée sur les activités sportives et physiques. Elle accompagnait bien Ichika se balader dans la campagne le week-end ou à la patinoire quand venaient les vacances d'hiver. À une ou deux reprises, elle s'était motivée à accompagner sa petite-amie dans son running matinal. Peine perdue, la jeune Espagnole avait fini par se résigner.

Ichika découvrait pour la première fois un véritable partenaire d'entraînement. À une autre époque, elle n'en avait pas manqué. Des oncles, cousins, amis de la famille. Qui lui imposaient leurs exercices, leur façon de faire, tiraient d'elle toujours plus de sueur et de sang jusqu'à qu'elle finisse par vomir tripes et boyaux dans la cour de la demeure familiale.

Comment l'héritier des Juko pouvait-il être de constitution aussi faible ? Si peu d'endurance, de résistance, de solidité. Jamais il ne pourrait supporter les coupures sacrificielles propres à leur capacité héréditaire. Rumeurs qui s'étaient confirmées les rares fois où Takezo Juko avait dégainé la dague ancestrale de leur famille pour s'assurer que son héritier était digne d'en porter le titre. Ichika avait tourné de l'œil quasiment à chaque reprise. Puis ses pertes de conscience avaient empiré avec le passage à l'adolescence.

Takezo et le reste de la famille avaient fini par se résigner. L'héritier Juko était né fille. Avec une constitution de fille. Avec un taux de fer sanguin d'une jeune femme réglée. Les entraînements s'étaient espacés. Ses cousins avaient troqué le respect pour le mépris. Ses oncles et les aînés de la famille s'étaient tournés vers d'autres Juko, nés selon les bons chromosomes. Tant pis s'il fallait récurer les branches secondaires dans l'espoir que la manipulation du sang n'ait pas été trop altérée par les gènes sapiens.

Tout plutôt que de laisser Ichika, avec sa masse musculaire biologiquement moins développée et ses cycles menstruels contraignants, prendre le titre d'héritière des Juko.


En legging et brassière de sport, Ichika entama sa série d'étirements. Du moins ceux qui étaient intéressants de faire avec ses muscles encore chauds. Ses doigts glissèrent le long de sa peau humide, roulèrent sur des boursouflures, des cicatrices, des souvenirs.

Freyja lui prêtait sa petite enceinte portative pour ses séances de sport. La musique, tirée d'une playlist de motivation dénichée sur YouTube, crachait dans la chambre qu'elle partageait avec Kass. À la pensée de sa copine, Ichika frissonna. Après son entraînement venait une période étrange, brouillard d'endorphines et d'adrénaline. Ses muscles encore tremblants sous l'effort, son cœur calé sur un rythme un peu plus rapide qu'au repos, Ichika voguait sur un nuage de contentement, d'épuisement et de vulnérabilité. Il lui prenait parfois l'envie de danser, de crier, d'embrasser Kassandra jusqu'à ce que le souffle lui manque.

Sa copine lui intimait généralement à ce moment-là de filer sous la douche. L'eau apaisait ses muscles et ses ardeurs. Elle en sortait cotonneuse, frissonnante. Alors Kass venait entourer ses bras autour d'elle, embrassait sa nuque dégagée par ses cheveux courts. En fonction de l'humeur, elles allaient parfois plus loin. Au rythme d'Ichika. Toujours à son rythme. À ce que son corps qui ne désirait pas pouvait donner à Kass.

À ce que son corps désaimé jadis pouvait aimer aujourd'hui.


Ichika venait de rouler son tapis quand la porte s'ouvrit doucement. Les frises serrées de Frey en dépassèrent, bientôt suivis de son regard profond. Elle ne se lissait plus les cheveux depuis leur arrivée à Liège. Ichika trouvait que ça lui allait particulièrement bien, même si elle l'entendait souvent râler avec Kass à propos de l'entretien qu'exigeaient les cheveux texturés.

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