15 - Kassandra

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Ichika était déjà partie quand Kassandra ouvrit péniblement les yeux. L'angoisse du Conseil imminent l'ayant rendu insomniaque, elle ne s'était assoupie qu'à une heure avancée de la nuit.

L'esprit cotonneux, elle récupéra le message griffonné par sa copine sur le bloc-note du bureau. Ichika lui expliquait qu'elle s'était levée tôt pour courir avec Freyja en suivant le même itinéraire que la veille. Kass repoussa le mot avec un sourire vague. Elle n'était pas bien surprise que ces deux-là gèrent leur stress en activant leur corps.

Après avoir avalé un grand verre d'eau, Kass traîna les pieds jusqu'à la salle de bains. Elle s'efforça de ne pas mettre le jet de la douche trop chaud pour stimuler un peu son corps. Une fois habillée et maquillée, elle récupéra son sac à main et quitta la chambre. Dans le couloir, elle lorgna la porte des Corneilles d'un air hésitant. Avant de se laisser la possibilité de changer d'avis, Kassandra franchit les deux mètres qui séparaient les pièces et frappa.

Pourvu que Jayden ne soit pas déjà parti. L'idée de petit-déjeuner seule, à quelques heures du Conseil, lui coupait l'appétit. Elle avait besoin de voir des gens, de discuter, de se rassurer.

— Kass, salut.

La jeune femme retint un soupir de soulagement, rendit à Jay son sourire avenant. Elle avait remarqué que lorsqu'ils étaient que tous les deux, il employait spontanément le français. Peut-être était-il soulagé de pratiquer sa deuxième langue maternelle au milieu de l'anglais institutionnel et universel.

— Bonjour, je te dérange pas ?

— Non, non, du tout, la rassura-t-il en frottant son visage ensommeillé.

À en croire les cercles violacés sous ses yeux, Jay n'avait pas beaucoup plus dormi qu'elle.

— Frey est partie ?

— Oui, avec Ichika, y'a plus d'une heure déjà. (Jayden nota qu'elle était habillée comme pour sortir, l'interrogea :) Tu allais quelque part ?

— J'allais te proposer de petit-déjeuner dehors. Si tu as pas encore mangé.

— Non, pas encore.

Le jeune homme avisa ses vêtements froissés, grimaça.

— Je me change et j'arrive. À tout de suite.

Kass se demanda distraitement s'il changeait d'apparence seulement parce qu'elle était elle-même bien apprêtée. Quand la porte se rouvrit, il avait enfilé une tenue propre et arrangé ses cheveux. Il ne faisait pas assez froid pour qu'il sorte son habituel bonnet gris, mais Jay s'était vêtu de sa veste en cuir.

— J'ai repéré un café à cinq minutes à pied, l'informa Kass alors qu'ils de dirigeaient vers l'ascenseur.

— Très bien.

À la sortie de l'hôtel, Kass se félicita d'avoir glissé un parapluie dans son sac. Il ne pleuvait pas encore, mais le gris anthracite qui les surplombait était chargé d'une promesse orageuse. Son portable à la main pour les guider, Kassandra remonta les rues du quartier de la Jonction jusqu'aux berges du Rhône. Ils restèrent un moment à contempler ses eaux calmes, appuyés à la balustrade.

— Ça me rappelle Lyon, souffla le jeune homme avec un demi-sourire. Je passais du temps sur les quais du Rhône avec mes potes.

— T'as grandi là-bas ?

— Ouais, jusqu'à la fin du lycée. (Il inspira un grand coup l'air chargé d'humidité, sembla s'apaiser un chouïa.) Après, j'ai rejoint la formation des Corneilles.

Kassandra quitta le fleuve des yeux à son tour, leva le nez vers la butte qui se dressait de l'autre côté. À l'ouest, des hôtels particuliers émergeaient entre les arbres. Kass observa la circulation, songea à tous ces gens qui partaient travailler, s'occuper de leur famille ou passer un moment rien qu'à eux. Son petit appartement de Fukuoka ne lui avait jamais autant manqué. Elle aurait voulu se blottir avec Ichika sur leur minuscule balcon pour regarder le soleil se coucher. L'entendre râler depuis le salon, alors qu'elle estimait le budget dont elles auraient besoin pour finir le mois.

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