Chapitre 1

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— Élinor ! Mon Dieu Élinor où es-tu, s'époumonait Madame Ausbourg, arpentant d'un pas assuré les couloirs de sa demeure, ses jupons en main.

Une fois encore, ses filles s'étaient soustraites à sa vigilance avec une facilité déconcertante. Une brève minute d'inattention suffisait à celles-ci pour qu'elles s'éclipsent, aillent vaquer à leurs loisirs respectifs ou bien se réunissent dans l'un de leurs nombreux repaires pour échanger librement, sans se soucier des convenances que leur imposait leur génitrice.
Certes indulgente mais pas crédule, Madame Ausbourg soupçonnait fortement l'origine de ces élans d'audace. Si elle parvenait à débusquer Élinor, elle était sûre de retrouver ses autres petites demoiselles. Curieusement, cette enfant semblait constamment connaître les retraites de tous les hôtes du châtelet, à croire que l'adolescente possédait des informateurs parmi les oiseaux et les insectes auxquels elle confiait ses pensées les plus profondes.

La matriarche eût pu diligemment parcourir les dédales de l'immense maison de maître, qu'elle n'aurait même pas entrevu leurs silhouettes. Les domestiques s'inclinaient respectueusement à son passage tandis que retentissaient les échos rythmés du claquement de ses talons sur le parquet, complètement ignorants sur l'emplacement de ses filles, se confondant en balbutiantes excuses.
Le rude hiver ayant pris fin et le printemps énoncé avec assurance, l'astre solaire ne se faisait point languir. Ainsi, les fenêtres largement entrouvertes permettaient aux résidents le soin de profiter de ses rayons, escortés d'une brise embaumant les roses que la maîtresse des lieux s'appliquait à cultiver.
C'est en dépassant l'une de ces nombreuses lucarnes que le vent réussit à porter aux oreilles de Madame Ausbourg, les gloussements lointains de ses filles. Après un rapide coup d'œil derrière l'épais rideau, elle les aperçues converser tranquillement, avachies sur les méridiennes du patio, se délectant de pâtisseries précédemment dérobées dans les cuisines. Cette scène n'avait rien à envier à un triclinium romain, si ce n'est que les grappes de raisin furent remplacées par de délicats des petits fours et des choux à la crème.

Passablement excédée, elle rejoignit le jardin à grandes foulées veillant à toujours prendre soin de ne se défaire de son élégance coutumière. À la vue du visage roussi de leur mère, la benjamine ne put s'empêcher de s'esclaffer et s'aventura à dissimuler son rire en croquant dans un gâteau. Les trois autres l'accueillirent chaleureusement, l'invitant à se joindre à elles, s'efforçant de redresser leurs postures pour donner le change avec dignité.

— J'aurais dû me douter que vous rêvassiez dans le jardin. Ce n'est seulement que la troisième fois cette semaine après tout, scanda Madame Ausbourg en s'affalant sur l'un des canapés tandis que l'aînée lui offrait une tasse de thé.

— Il est à la camomille mère, votre préféré.

— Merci Élisabeth.

— Nous vous prions de nous excuser mère, il nous est impossible de prétendre ne pas vouloir profiter des beaux jours qui se profilent à l'horizon. Il fera si chaud cet été, peut-être ne pourrons-nous plus sortir sans craindre de défaillir, déclara Evalyn la mine contrite.

— La pluie s'annonce, les oiseaux ont cessé de chanter. Mieux vaut savourer le soleil et ses bienfaits en attendant l'averse. N'est-ce pas mère, demanda Élinor, rafraîchissant sa génitrice de son éventail.

— Vous avez une excuse pour tout, ma parole ! Et bien soit ! Cependant, j'aimerais savoir quelles sont vos justifications concernant vos pillages éhontés, adjura la matriarche en désignant les pâtisseries du bout du menton.

— N'apprécie-t-on pas d'avantage un thé avec un gâteau ? Je crois ne jamais vous avoir vu boire une infusion sans y adjoindre un biscuit cuillère ou un carré de chocolat, fit remarquer Élisabeth avec une assurance teintée de désinvolture.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant