Chapitre 55

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Et Élinor se retrouva à nouveau seule. L'esprit perpétuellement préoccupé par le travail, rarement elle venait à réfléchir sur sa propre solitude. Mais au milieu d'une foule, c'était une toute autre chose. Les regards jadis admiratifs semblaient maintenant empreints d'une curiosité scrutatrice... Elle avait l'impression que chaque chuchotement lui était prédestiné, la prenant en pitié sinon la moquant sans vergogne. Fallait-il donc qu'elle soit d'une telle vanité pour imaginer que chacun accordât quelque importance à sa personne ? Ou bien était-elle tout simplement trop encline à la paranoïa ? Quoi qu'il en fût, cette situation ne lui plaisait guère.

Plus harassée qu'irritée, la jeune demoiselle se dirigea lascivement vers le banquet pour se restaurer en liqueur et égayer un minimum sa soirée. Alors qu'elle saisissait délicatement le pied d'un verre, elle eut subitement l'impression d'une présence derrière elle, la poussant à se retourner vivement afin de vérifier ses instincts. Pourtant, elle ne découvrit nulle âme dans les parages.

Élinor, habituée depuis si longtemps à des interruptions intempestives, à l'apparition soudaine d'Aron Ashford dans son sillage, s'en inquiétait encore davantage. Cependant, ce qui la troublait d'autant plus se trouva être sa propre réaction, cette brève lueur réjouie qui scintilla en elle lorsqu'elle crut percevoir sa présence. Bien qu'il eût pu être là, il était peu probable qu'il daignât lui adresser la parole, ou bien lui pardonner ses écarts de leur dernière rencontre. Peut-être subsistait-il une mince possibilité, si elle lui présentait des excuses sincères, mais que saurait-elle en retirer ? Elle sacrifierait sa fierté, un tribut déjà bien élevé pour satisfaire l'orgueil d'un homme qui s'était jadis moqué d'elle.

La jeune dame écarta ces réflexions d'un geste désinvolte, puis elle s'ingurgita d'un trait une coupe de champagne, espérant ainsi délier les entraves qui enserraient son esprit, et permettre à ses angoisses de cesser leurs assauts. Hélas, après de nombreuses années à vider verre sur verre, dissipant ses économies en quelques précieuses bouteilles d'alcool, elle ne parvenait plus à se satisfaire d'un simple calice pour apaiser les tourments de sa propre conscience.

Malheureusement, elle ne pouvait s'aviner un tonneau en public, les ivrognes n'ayant guère bonne réputation dans ce milieu, d'autant plus lorsqu'il s'agissait de femmes. Encore un autre espoir qui s'envolait.

— Ma vie est un cimetière d'espoirs enfouis, susurra-t-elle dans un soupir.

Comme elle aurait ardemment désiré être dans son propre sanctuaire, à l'écoute du vent qui agitait les frondaisons des vénérables chênes millénaires qui ornait ses terres, du doux murmure du ruisseau glissant paisiblement vers le lac, et du concert de coassements des grenouilles dans les environs. Il fut un temps où elle avait savouré ces réceptions, tout lui semblait alors empreint de magnificence, scintillant d'or et de mille feux... À présent, elle percevait à quel point cette splendeur se révélait insipide et ennuyeuse.

Élinor songea qu'elle était ingrate. Qu'elle vouait un culte à l'ingratitude même, comme elle s'en était excusée auprès de son père plusieurs années auparavant. Elle jouissait en effet d'une beauté radieuse, d'un patrimoine considérable et d'un entourage aimant, pourtant, elle persistait à trouver des raisons de se plaindre. Une héroïne de roman n'aurait pu être mieux dotée. La jeune femme se convainquait que cette insatiable insatisfaction à l'égard de sa condition la stimulait et alimentait sans relâche ses ambitions. C'était surtout un argument pour justifier sa nature acariâtre, une facette dont elle ne devait guère se prévaloir ostensiblement selon des règles tacites que tous s'évertuaient à appliquer.

— Je me mets à réfléchir comme lui maintenant, grommela-t-elle en reprenant une coupe de champagne.

— Comme qui, l'interpella un timbre suave et caustique, une voix aisément reconnaissable entre mille.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant