Le lendemain matin, Élinor éprouva maintes difficultés à se séparer de sa couche. Sa nuit avait été de courte durée, emplie de rêves singuliers. Après à peine quelques heures de sommeil, elle s'éveilla brusquement, le front perlé de sueur, sa poitrine oppressée par une énergie invisible. Il lui fallut un temps pour recouvrir son calme et apaiser sa respiration saccadée à force d'inspirations et d'expirations régulières.
Son regard s'attarda sur les draperies majestueuses qui ornaient le plafond de son lit à baldaquins de longues minutes avant qu'elle ne jette son dévolu sur le fauteuil où gisaient ses vêtements en attente d'être enfilés pour la journée. Malgré ses yeux rougis par la fatigue qui ne demandaient qu'à se clore, la jeune fille n'arrivait à lutter contre son insomnie. Résignée, elle décida de se lever pour s'habiller et occuper son temps à errer dans les couloirs du somptueux hôtel.
C'était la première fois en son existence qu'elle éprouvait cette désagréable absence de confiance à l'égard de ses géniteurs, eux qui pourtant semblaient exempts de tout reproche. Devait-elle vraiment remettre en cause la présomption sous prétexte qu'un presque inconnu le lui avait suggéré ? Elle n'en savait rien, et peut-être était-ce là ce qui l'exaspérait le plus : le manque de certitude. Ses parents ne lui mentaient pas, non, mais elle percevait clairement qu'ils lui dissimulaient une vérité bien amère sous couvert de bons sentiments.
La jeune fille n'éprouvait cependant pas le moindre ressentiment. Peut-être achetaient-ils du coton cultivé par des esclaves, peut-être trempaient-ils dans des affaires plus louches, plus immorales encore, mais elle ne se sentait en rien coupable. Comment avoir une once de compassion pour ces gens de l'autre côté de la mer ? Que savait-elle des conditions de travail de ces nègres, peut-être n'étaient pas si horribles finalement ? Elle secoua la tête, sa rhétorique flirtait avec la mauvaise foi. Le mot "esclave" n'engageait rien de positif... Encore une fois, elle n'en savait rien.
Les valets s'affairaient avec diligence dans les vastes couloirs, naviguant habilement parmi les chambres des nobles résidents et les cuisines afin d'apporter, en un temps précis, le premier repas de la journée. Nombre d'entre eux marquaient une pause devant la jeune demoiselle, sollicitant courtoisement ses besoins, mais elle déclinait poliment leurs offres, soulignant qu'elle ne souhaitait point troubler leur besogne. Cela ne l'empêcha pas de chaparder quelques gâteaux sur un plateau bien garni car son ventre criait famine.
Après son petit tour du propriétaire, lorsqu'elle emprunta l'allée majestueuse menant aux chambres, elle eut l'occasion de croiser Élisabeth, assise gracieusement sur une banquette, s'adonnant avec application à une broderie délicate tendue sur un tambour. Élinor réalisa que celle-ci n'avait plus rien d'une jeune fille mais d'une grande dame à l'image de sa mère avec son regard sérieux et son port de tête altier. Elle sembla à peine étonner de voir sa cadette aussi matinale.
— Qu'est ce qui trouble ton esprit de si bon matin, petite sœur, lui demanda-t-elle, sans lever un œil de son ouvrage.
— Je pourrais te retourner la question, objecta-t-elle en prenant place à ses côtés.
— Je réfléchissais.
— C'est dangereux ça.
Les commissures de l'aînée se relevèrent alors qu'elle tirait sur son aiguille.— Oh, toi et ta désinvolture... Elle finira par te perdre.
— Moi je parie qu'elle finira par me sauver. Enfin, tu sais que tu peux tout me confier.
Élisabeth laissa échapper un profond soupir d'exaspération, faisant face à sa cadette avec une mine abattue.— Je n'ai pas réussi à ressentir quoi que ce soit à l'égard d'un seul de mes prétendants, confessa-t-elle dans un soupir las.
— Ne te tourmente pas pour si peu, le coup de foudre n'est pas une fin en soi. Je suis persuadée que les émotions se bâtissent lentement, qu'elles s'épanouissent tels des bourgeons qui se cultiveraient pour donner naissance à l'amour. C'est en investissant de notre temps et de notre effort qu'il se pérennise et ne s'estompe point avec les années.
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Élinor
Historical FictionProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...