Chapitre 41

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Élinor refusait de laisser tomber le masque, insensible aux désagréments d'Aron qui se trouvait bien en peine d'obtenir de sa part autre chose que des affronts cinglants.

— J'ai du mal à saisir les contours de vos intentions, s'insurgea la jeune femme d'un élan vif, se redressant avec une vivacité qui la plaça face à Monsieur Ashford.

— Je dois concéder que vous avez failli me surprendre, mais, malheureusement, votre penchant pour la vinasse a trahi vos desseins bien avant que vos paroles ne le fassent, articula Aron d'un ton délibéré, laissant planer dans l'air l'amertume de la déception.

— Je demeure dans l'ignorance des tenants de vos allégations, poursuivit-elle avec une aisance inchangée, semblant se jouer des circonvolutions du dialogue.

— Ainsi, daignez m'éclairer, de quel montant en francs avez-vous nécessité, interrogea-t-il d'un soupir, son souffle portant l'ombre d'une résignation tangible. En son for intérieur, il savait pertinemment qu'aucune autre motivation ne saurait avoir mené la vénale demoiselle à cette démarche, pourtant, il aurait préféré l'entendre de ses propres lèvres, le doux écho d'une confession franche.

La jeune femme tressaillit, surprise par le simple énoncé du mot "franc", une réaction à peine imperceptible qui n'échappa point au regard observateur d'Aron. En réponse, il esquissa un sourire sombre qui se transforma bientôt en un ricanement effrayant.

— J'aurais besoin de plusieurs centaines de francs, avoua-t-elle finalement avec contrition.

— Combien exactement, demanda-t-il, placide.

— Huit cents... J'ai l'impérieuse nécessité d'acquitter le loyer de mon appartement parisien, ainsi que maintes autres échéances pressantes, dont celles afférentes à nos entrepôts, énonça-t-elle d'une voix nuancée d'une légère hésitation, dérobant son regard pour éviter toute rencontre visuelle avec cet homme complètement indifférent à sa fatalité.

Telle une protagoniste au sort s'inscrit dans la tragédie des temps, elle avait fait un pari, osé un jeu, et les voiles du destin lui étaient devenus contraires. Désormais, elle se retrouvait réduite à plaider pour la clémence d'un homme qui ne lui témoignait plus que le mépris, la pitié devenue l'unique monnaie de son affligeante détresse.

— Votre propre blâme doit être votre compagnon, en vérité. Vous prétendez à la vie d'une duchesse, tout en étant enlisée dans les abîmes de la dette. Comment donc vos sœurs ont-elles laissé votre existence sombrer de la sorte, happée par les délices de l'excès, lança-t-il d'une voix teintée de reproche, ses paroles se déversant comme une mélodie acerbe dans l'atmosphère alourdie.

— Que vous m'insultiez moi ou mes sœurs, peu importe, pourvu que vous accédiez à ma requête financière, s'insurgea-t-elle en déployant une audace renouvelée, faisant un pas en avant dans une démarche résolue.

— Mais que pouvez-vous donc m'offrir comme caution en contrepartie de cet échange monétaire, interrogea-t-il d'un ton calme, percevant la fragilité de son assurance.

— J'ai quelques pièces de joaillerie, précisa-t-elle en inclinant légèrement la tête, consciente que ce n'était là qu'un faible pion dans le jeu qui se jouait entre eux.

— Vous savez avec justesse que les bijoux n'ont aucune valeur en ces temps difficiles.

— Et que diriez-vous alors de mon appartement ? Ou peut-être pourrais-je vous proposer une offre alléchante sur mes importations, proposa-t-elle, désireuse de trouver une issue

— Je doute fort que ces concessions soient suffisantes. Votre demande, dans cette période de tourments économiques, est conséquente. Cependant, si je puis vous en faire la proposition, vous devriez envisager de me vendre votre châtelet à Provins, fit-il enfin, son regard la fixant avec une lueur défiant les ténèbres, sachant pertinemment qu'elle rejetterait cette option, espérant ainsi jouir de sa colère après qu'elle eut tentée de le duper.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant