Tout au long du repas, Victor s'attacha avec application à retenir les noms de chaque couvert et à assimiler les délicates règles qui gouvernent la bienséance à table sous l'égide d'Élinor. Les subtilités de cet apprentissage déployé prenaient la forme d'un parcours semé d'embûches, exigeant de lui une présence d'esprit soutenue. Cependant, l'ampleur des enseignements reçus en l'espace de cette unique journée, loin de susciter une quelconque sévérité, fut accueillie avec une indulgence empreinte de compréhension car le garçon semblait épuisé.
Pourtant, elle-même avait adopté l'habitude coriace de consacrer son temps durant les repas à des activités laborieuses. Elle effleurait à peine du bout des doigts le contenu de son assiette, absorbant par bribes les mets délicats, tout en jonglant avec une autre main pour consigner des rapports conséquents. Dans cette cadence effrénée, une procession ininterrompue de domestiques défilait tour à tour devant elle, venant pour lui réciter des articles de journaux, lire son courrier, ou encore lui susurrer les derniers commérages tout juste parvenus des ruelles animées de la capitale. Ainsi, le repas autrefois symbole sacré de repos n'était désormais qu'un rituel encombrant, un accroc entravant son emploi du temps excessivement chargé.
Depuis que l'écho des prières paternelles s'était tu, le doux nectar de la contemplation avait déserté l'existence d'Élinor, constamment en proie à une course effrénée après le temps, comme si, à force de persévérance, elle pourrait un jour le saisir à bras-le-corps. Les heures qui s'égrainaient étaient désormais pavées d'obligations ardues et d'épreuves amères, emprisonnant son quotidien dans une étreinte sombre et morose. Pourtant, cette triste réalité ne trouvait guère grâce à ses yeux avides, qui ne cessaient de scruter les horizons à venir. Son esprit s'évadait vers des lendemains teintés de prospérité et de sérénité, tissant de vagues et enchanteresses promesses pour un avenir qu'elle convoitait avec une ferveur quasi frénétique.
— Ma mère ne descend pas manger, demanda-t-elle à Albert, tout en faisant glisser ses yeux sur les deux couverts soigneusement disposés,
— Je suis désolée Mademoiselle, s'excusa le majordome, Madame préférait attendre votre père avant de dîner, avoua le vieil homme avec attrition.
Élinor laissa échapper un long soupir évocateur, s'asseyant avec une grâce empreinte d'une mélancolie fugace. Le jeune garçon qui l'observait demeura muet, incapable de saisir les subtilités des émotions qui se jouaient devant lui. Madame Ausbourg attendait un disparu. Une réalité déconcertante, mais il lui convenait de rester en retrait, de se taire avec la prudence d'un sage pour éviter de souiller le moment de sa présence maladroite.
— Alors, comment s'est déroulée ton après-midi Victor, le questionna-t-elle avec pondération après avoir repris sa contenance, est-ce que la réalité a su se hausser à la hauteur de tes aspirations ?
— Oh oui, je n'en espérais pas autant ! Je ne sais pas combien de fois je devrais vous dire merci Mademoiselle.
— En vérité, il n'est pas nécessaire de multiplier les remerciements au-delà de la juste mesure. Si ta volonté de témoigner ta reconnaissance est à ce point vigoureuse, il serait préférable que tu concentres ton attention sur l'acquisition de connaissances durant tes études.
— D'accord Mademoiselle, je devrais commencer à m'appliquer à cette quête dès ce soir dans ce cas, affirma-t-il malgré ses paupières qui menaçaient de se fermer à chaque bouchée.
— Oh que non ! C'est déjà bien assez de choses à retenir pour une journée. Il serait plus sage que tu t'en ailles quérir le repos, une chambre a été préparée à cet effet. Sitôt le repas terminé, va te coucher, il est hors de question que tu t'épuises pour mon bon plaisir, il n'y a que moi à qui puisse échoir un tel supplice, rétorqua-t-elle avec un sarcasme teinté d'amertume.
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Élinor
Ficción históricaProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...