Chapitre 46

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Élinor souhaitait tout de même prendre une décision réfléchie malgré son premier instinct sur le potentiel du jeune garçon. C'est ainsi qu'elle s'engagea à consacrer le reste de sa journée à échanger avec lui, afin de parvenir à une conclusion éclairée lorsque aurait sonné l'heure du crépuscule. Après avoir diligemment rappelé à la nonne que son père, de son vivant, avait été un témoin privilégié des dons qui avaient nourri la pérennité de l'orphelinat, une preuve irréfutable à l'appui de ses dires, Élinor obtint enfin l'assentiment de la religieuse. Finalement, eut-elle la permission, désormais accordée par l'ecclésiastique d'emmener le jeune Victor dans une promenade à travers le village, ce faisant, elle s'échinait à éviter qu'ils demeurent reclus entre les étroites parois d'une pièce exiguë, leur permettant ainsi de discuter à l'air libre.

— Si d'aventure tu avais quelques interrogations, il ne faudrait pas que tu hésites à m'en faire part, l'enjoignit-elle, constatant qu'il ne se montrait pas très loquace.

— Vraiment, s'étonna-t-il, tandis qu'une lumière sembla soudainement éclairer ses prunelles.

— Bien sûr, pourquoi te l'empêcherais-je ?

— La mère supérieure et sœur Victoria n'aime pas que je pose des questions, surtout aux adultes. Elles estiment que c'est impoli., expliqua-t-il.

— Heureusement pour nous, je ne revêts pas la robe de ces religieuses. De mon point de vue, interroger les arcanes du monde qui nous entoure est d'une importance cruciale. N'hésite donc pas le moindre instant, particulièrement en ma présence.

— D'accord ! Pour commencer, comment vous appelez-vous, l'interrogea Victor d'une verve empreinte d'enthousiasme.

— Élinor. Et sache, en toute confiance, que tu es parfaitement en droit d'utiliser mon prénom si tu le souhaites.

— Vous reste-t-il de la famille comme un oncle ou une tante ?

— Heureusement pour moi. Je suis la cadette d'une fratrie de quatre sœurs.

Les prunelles du jeune garçon se virent baignées d'une clarté accrue, animées par une curiosité croissante.

— Ce doit être bien d'avoir une si grande famille, s'exclama-t-il avec une sincère admiration, l'on ne doit jamais se sentir seul ainsi entouré.

— Je ne saurais le nier. Je dois avouer qu'en effet, le lien qui nous unit est une bénédiction. Nous entretenons des relations des plus étroites, et je ne puis envisager la vie sans leur présence bienveillante.

— Pourquoi voulez-vous adopter un enfant si vous avez déjà un entourage si aimant ?

— Puisque je suis femme, il s'ensuit que la direction des entreprises Ausbourg écherrait à mon époux dont je prendrais le nom. Cependant, je n'entends point céder à l'idée que les fruits du labeur de mes parents ne puissent qu'être recueillis par un étranger, qui en accaparerait la gloire et la fortune.

— Alors vous êtes riche ?

— Pour tout te dire, pour l'instant, pas vraiment. Le pays va plutôt mal en ce moment, vois-tu, et cela m'impose de consacrer davantage de fonds à la pérennité de nos domaines d'expertise.

— Donc vous auriez besoin de moi pour travailler avec vous au nom de votre famille ?

— Pour l'heure, ce ne serait point précipité. Tu devrais, avant toute chose, t'adonner à l'apprentissage. Tu te verrais contraint d'étudier avec une diligence inouïe une multitude de disciplines, afin de préparer, dans un avenir lointain, l'épanouissement de notre héritage. Compte tenu de ta jeune condition, il se pourrait que tu ne mesures point encore l'ampleur des responsabilités que cela implique. Il te faudrait condenser en peu de temps ce que j'ai moi-même acquis au fil des années. Cependant, je demeure intimement convaincue que tu es un petit garçon ambitieux. Penses-tu que je me sois trompée à ton sujet ?

— Est-ce que j'aurais le droit de jouer, parfois ?

— Bien sûr ! J'ai été une enfant moi aussi, je saisis pleinement à quel point rester immobile durant une journée entière, assis sur une chaise à entendre des sermons, peut se muer en un ennui profond. Il est de mes souvenirs que le remède à cette torpeur résidait dans l'art équestre.

— Je pourrais apprendre à monter à cheval, s'enquit-il avec un entrain non dissimulé.

— Eh oui ! Tant est grand le poids des devoirs et des contraintes, que j'en omets presque de te narrer les innombrables bienfaits que tu obtiendrais à accepter ma proposition. Ton refuge serait une magnifique demeure, sise au cœur de cette majestueuse forêt. Point de tâches ménagères ou culinaires n'asserviraient tes journées, car des serviteurs zélés, voués à ces labeurs, délivreraient ton temps des fardeaux laborieux. Les portes de la capitale te seraient grandes ouvertes, permettant ta participation à des festivités grandioses...

— Tout ça ?

— Tout ça et bien plus encore, confirma-t-elle d'une voix légèrement enjouée.

— Et en échange, il faudra seulement que j'aille à l'école ?

— L'école ? En réalité, tu poursuivrais tes études au domicile, sous la tutelle de précepteurs spécialement employés à cette fin.

Victor, en cet instant, demeurait presque désemparé, les mots semblaient avoir fui son esprit tandis qu'Élinor, en sa sagacité, avait répondu à chacune de ses préoccupations. Lui, l'orphelin, fils d'une ancienne prostituée, se voyait offrir une existence digne des plus nobles princes. Tel un jeune garçon, rayonnant de l'innocence qui le caractérisait, il accordait peu d'importance à la richesse dont il pourrait un jour hériter. Ses songes s'égaraient dans l'imaginaire des plaisirs simples : la dégustation de pâtisseries exquises, la chevauchée sur un destrier fougueux à la manière d'un chevalier ou les parties de cache-cache au sein de la vaste demeure.

Il peinait à réaliser la charge de travail qui l'attendait cependant, les rares instants de contentement qu'il avait connus à l'orphelinat s'inscrivaient dans ces moments où les sœurs dévouées se pourvoyaient du rôle d'enseignantes, et dans leurs efforts pour lui transmettre l'art de la lecture, de l'écriture et des calculs, il puisait une forme de joie authentique qui surpassait toute crainte. De surcroît, Élinor se révélait à ses yeux d'une bienveillance et d'une aisance bien plus marquées que celles qui caractérisaient les religieuses.

Du coin de l'œil, la jeune demoiselle prenait plaisir à observer sa réflexion, réprimant avec soin le rire qui menaçait d'échapper à la vue de son adorable bouille préoccupée, empreinte d'une concentration touchante, presque trop grave pour un enfant de dix ans. En son for intérieur, elle nourrissait la certitude que sa proposition obtiendrait son adhésion, cependant elle désirait lui octroyer le privilège du choix, tout comme son propre père l'eut fait pour elle quelques années auparavant. Une expérience qui avait considérablement fortifié son engagement dans le labeur qui l'animait, et elle désirait ardemment qu'il en soit de même pour lui.

— Je veux bien que vous m'adoptiez, proclama-t-il enfin en faisant face à Élinor.

— Dans ce cas, je te souhaite la bienvenue au sein de la famille Ausbourg Victor, annonça-t-elle avec mansuétude, posant délicatement ses deux mains sur les épaules du jeune garçon, geste qui scellait l'importance solennelle de ce moment, tandis qu'elle lui offrait son sourire le plus radieux.

Manifestement submergé par une vague d'émotions, il se précipita vers elle, s'agrippant à sa jupe avec toute la vigueur que pouvaient offrir ses petits bras.

— Merci, merci beaucoup Mademoiselle, souffla-t-il à voix basse, sa parole étouffée par le contact du tissu contre lequel il nichait son visage.

En dépit de sa surprise et de son peu d'accoutumance à de telles démonstrations d'affection, elle eut la claire perception que le cheminement du petit avait sans doute été jonché d'épreuves sévères, au vu de la profonde reconnaissance qu'il exprimait envers elle.

— C'est moi qui te remercie, répondit-elle avec douceur, tapotant tendrement la tête du petit garçon. 

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant