Élinor pesta un millier d'injures tout en regagnant la salle de bal. Elle, réduite à une vulgaire amante ? L'insolence de cet individu ne connaissait manifestement aucune limite, osant espérer que sa requête aboutisse.
— Misérable, vaurien, maroufle, ribaud, crapule, infâme coureur de jupons, murmura-t-elle dans sa barbe en se frayant un chemin parmi les convives pour rejoindre le buffet.
Avant qu'elle ne puisse atteindre les liqueurs, sa benjamine qui l'avait vu entrer en trombe se dirigeant d'un pas décidé vers le vin s'empressa d'endiguer sa route.
— Puis-je savoir ce que tu comptes faire, la sollicita Esther avec prévenance.
— Rien du tout ! Je viens seulement me fournir en boisson et étancher ma soif en cette fin de soirée.
— Je ne sais pas ce qui t'a mis en colère mais dois-je de te rappeler ce qu'il s'est passé la dernière fois que tu as abusé de l'eau-de-vie ?
— Mais je... Toi... Enfin, il ! Humph, grommela la jeune fille, laissant sa phrase en suspens alors qu'elle renonçait à son intention initiale de s'emparer d'une coupe de champagne pour se rabattre finalement vers les assortiments de petits fours dans un soupir résigné.
— Que s'est-il passé dehors ?
— Rien qui ne mérite qu'on s'y attarde, rétorqua-t-elle avec véhémence.
Alors que la benjamine observait son aînée s'empiffrer de financiers, de macarons et de choux à la crème en marmonnant des invectives d'une voix étouffée, elle ne put s'empêcher de constater qu'en dépit de ses grands airs, un rouge ardent s'épanouissait sur ses joues. La chantilly délicate se frayait un chemin au coin de ses lèvres, mais ce n'était rien comparé à la teinte cramoisie qui embrasait ses pommettes. Tandis qu'elle jetait un fugace coup d'œil en direction de la porte par laquelle Élinor avait débarqué, Esther discerna la silhouette familière d'Aron Ashford qui réapparaissait par cette même ouverture. Les rouages de la situation s'assemblèrent rapidement dans son esprit, lui faisant esquisser un large sourire hilare.
— Tout s'explique finalement, susurra-t-elle en se caressant le menton d'un air songeur.
— Que veux-tu dire ?
— Rien, rien, certifia la jeune fille avec une candeur feinte.
Moyennement convaincue par cette réponse, la demoiselle dirigea ses mirettes dans la même direction que sa sœur pour percer le mystère de sa jubilation silencieuse. Lorsque leurs regards se croisèrent avec Aron, il lui adressa un hochement de tête courtois accompagné d'un rictus enjôleur. Ce geste n'attisa que d'avantage sa colère déjà ardente, et son visage tout entier s'empourpra, prenant l'éclat écarlate d'une pivoine.
— Il ne s'est rien passé, clama Élinor, si fort qu'elle fit retourner quelques têtes et provoqua même un rire étouffé chez cet individu dont elle se garderait bien de prononcer le nom.
N'ayant nulle intention de susciter plus d'attention que de raison, la jeune demoiselle se retira dans le couloir afin de laisser exulter son courroux. Esther ne tenta point, ne serait-ce qu'un instant, de la rejoindre, consciente que toute tentative de dialogue serait dès lors inconcevable, susceptible de s'attirer ses foudres. En revanche, son père, ayant saisi les accents véhéments de ses invectives, se lança à sa poursuite à travers les dédales des corridors. Affaibli, il éprouva bien des peines à suivre les pas précipités de sa fille dans les méandres du couloir.
— Élinor, l'interpella-t-il finalement avec sécheresse.
La jeune demoiselle cessa brusquement sa course effrénée, tournant ses pas pour faire face à son père. Quand ses yeux se posèrent sur l'image de son géniteur, éreinté, cherchant péniblement à recouvrer son souffle tout en s'appuyant contre le mur, un élan de compassion l'envahit aussitôt. Son pas s'accéléra instinctivement et elle se hâta de rejoindre cet homme en peine. Enveloppant son bras d'une main douce mais ferme, elle prit conscience de la fragilité de son être. Les signes de son amoindrissement sautaient aux yeux, son corps semblant tout aussi dépourvu de vigueur qu'une simple poupée de chiffon, s'amenuisant à vue d'œil.
VOUS LISEZ
Élinor
Historical FictionProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...