Sans la moindre surprise, elle découvrit Aron derrière celle-ci. Invitant avec courtoisie son hôte à pénétrer, elle s'efforça de dissimuler l'appréhension qui faisait frémir sa voix.
Un silence pesant s'installa, leur échange visuel se prolongea, chacun s'évaluant mutuellement, se demandant lequel des deux aurait le courage d'entamer la conversation. Élinor succomba la première, le mutisme l'obligeant à réfléchir et à se remettre en question, il lui devenait de plus en plus insupportable. Celle qui goûtait tant le raffinement des âmes se réservant à mettre de côté leurs passions pour exercer leur jugement, et qui escomptait que son compagnon, dans le miroir de ses yeux, lui révèle une délicatesse, une compassion, voire une empathie, ne découvrit que deux orbes sombres qui l'observaient avec une impassibilité écrasante.
— Bonsoir. Votre journée fut-elle agréable, s'enquit-elle avec une timidité qui ne lui saillait guère.
— Ma foi, elle s'est avérée plutôt monotone, mais j'ai pu conclure quelques accords alors je la définirais comme productive à défaut de passionnante, répliqua-t-il simplement, ne relevant pas le comportement étrange de sa dame.
— C'est une bonne nouvelle, j'imagine...
Élinor détourna son regard vers l'embrasure de la fenêtre, sentant la nécessité impérieuse de ne point confronter celui de son époux. Elle ne prit conscience de la proximité d'Aron que lorsque son matelas fléchit sous le poids de sa présence, l'astreignant ainsi à se tourner inopinément vers lui.
— Et vous, très chère ? J'ai observé que vous avez eu la visite cet après-midi. J'ai croisé votre sœur sur le seuil, les affaires semblent prospérer à la banque, interrogea-t-il tout en saluant gracieusement d'un baisemain.
— Oh oui, assurément ! Nous avons discuté de quelques dossiers et... Elle ne vous a pas adressé ses salutations, questionna-t-elle en retirant nerveusement sa main de la sienne, appréhendant que peut-être Esther ne lui ait déjà fait part de la nouvelle.
— À vrai dire, elle m'a à peine saluée avant de courir vers la sortie.
— Ah bon ?
— Oui. Pourquoi ? Avait-elle quelque chose d'important à me dire ?
— Non ! Pas spécialement, s'empressa-t-elle de rétorquer.
Aron l'observa silencieusement, se délectant du spectacle qu'offrait son interlocutrice s'enfonçant progressivement dans le dédale de ses propos.
— Sachez Élinor, je ne vous l'ai jamais dit car vous vous étiez améliorée avec le temps, mais vous ne possédez pas cette ce talent dont les femmes se font le plus souvent les meilleures représentantes à défaut des hommes qui sont exécrables dans ce domaine.
— C'est-à-dire ?
— Vous êtes une piètre menteuse, déclara-t-il en esquissant un mince sourire sardonique.
— Est-ce réellement une vertu à revendiquer ? J'en doute fort, souffla-t-elle, pinçant ses lèvres dans une moue dédaigneuse.
— C'est pratique pour les affaires.
— Bien sûr...
— À présent, cessez de tergiverser et dites-moi ce qui vous préoccupe.
— Oh, et à quoi bon m'embarrasser de cachoteries. En vérité, vous serez inéluctablement informé tôt ou tard... Esther a confirmé vos soupçons, j'attends un bébé pour cet automne.
— Ah.
Un ange passe.
— Et bien dîtes quelque chose !
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Élinor
Historical FictionProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...