Chapitre 7

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L'arrivée de l'attelage de la mère Ausbourg et de ses filles à Provins ne passa pas inaperçue chez les pèlerins. Qu'il s'agisse des fermiers se dirigeant vers les champs, la bêche sur l'épaule, ou des lavandières, munies de leurs baquets débordant de linge, chaque individu fixait ces douces fleurs qui, rarement, s'aventuraient hors de leur bosquet.

Provins était l'une de ces charmantes bourgades si caractéristiques des contrées reculées de la campagne française où tous les habitants se connaissaient et dont la passion première consistait à alimenter les commérages. Les secrets ne pouvaient survivre dans un tel environnement, la vérité non plus a fortiori. Cette collectivité paysanne demeurait pourtant soudée autour de piliers tels que l'esprit du clocher, la vie communautaire et la foi inébranlable. Chaque hameau possédait son propre argot, la langue française cultivant cette immense richesse de subtilité selon les régions qui renforçait l'esprit collectif. Quiconque ne parlait pas le dialecte approprié se trouvait rapidement étiqueter mal-connu ou inconnu, appartenant à l'au-loin de la sphère des étrangers. Heureusement réunis par l'attachement patriotique à leur pays et à son histoire, l'allochtone bénéficiait bien plus de courtoisie que de méfiance injustifiée.

De par son caractère isolé, la petite famille bourgeoise se trouvait la cible idéale des rumeurs, inspirant fascination ou appréhension. Cependant, jamais elle ne fut répudiée. Monsieur et Madame Ausbourg, dans l'ombre, œuvraient avec diligence pour le bien-être économique du village. Ils finançaient les mobiliers de l'école communale, soutenant ainsi l'éducation des jeunes esprits, et offraient la possibilité aux riverains de commercialiser leurs récoltes à la capitale, à un coût moindre, pour en tirer des bénéfices remarquables.

Ainsi, bien que la confession juive des Ausbourg et leur position privilégiée dans la hiérarchie sociale les isolaient quelque peu de l'effervescence communautaire, leurs voisins demeuraient toujours courtois, conscients de l'importance de leur implication dans les affaires du village. Certes, quelques esprits récalcitrants les considéraient comme une petite élite royaliste qui s'érigeait en seigneur de cette contrée reculée, veillant avec zèle sur ses terres et ses occupants. Pour cette raison, le couple préférait préserver une certaine discrétion, se soustrayant ainsi à la réputation d'émissaires richissimes, qui ne se plaisaient qu'à étaler leur opulence dans le but hypocrite de s'attirer les faveurs d'une bonté feinte.

Madame Ausbourg et ses filles saluaient courtoisement les passants qui leur rendaient volontiers leur sourire. Les jouvenceaux qui prenaient le chemin de l'école ne pouvaient s'empêcher de jubiler devant ces rayonnantes demoiselles, fraîches et pimpantes comme des roses, jusqu'à ce que la matriarche ne les surprenne dans leur contemplation par un regard incisif lourd d'insinuations.

— Est-ce que père nous rejoindra là-bas, demanda Élinor qui s'adonnait à la valse avec son aînée sur le quai.

— Il nous retrouvera à l'hôtel en soirée après son travail. Nous rejoindrons son ami ensemble.

— Je suppose que l'on ne passera pas la journée chez la styliste, à quoi allouerons-nous le reste de notre temps libre, s'enquit Élinor, laissant transparaître l'excitation d'un projet mûri en secret.

— Si tu me poses la question c'est que tu as quelque chose en tête, n'est-ce pas ?

— J'aimerais me rendre en librairie pour acheter quelques livres.

— Moi aussi, s'exclama Esther d'un ton vif, trahissant son besoin pressant de nouveaux manuels de mathématiques.

— Parfait, applaudit la mère, ravie de voir les intérêts de la fratrie converger, et vous, mes chères, y a-t-il un endroit que vous souhaiteriez visiter, demanda-t-elle en se tournant avec bienveillance vers ses deux autres filles.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant