— Mazel tov ! Quelle magnifique petite poupée cette Scarlett, s'exclama Esther avec émerveillement en s'inclinant gracieusement au-dessus du berceau où reposait ce minuscule être aux joues rouges, paisiblement endormi, ses mains potelées serrées en de doux poings.
— Ne hurle pas ainsi, tu vas la réveiller, la rabroua doucement Evalyn en lui assénant une chiquenaude sur la tempe.
— Désolée, je n'ai pas pu m'en empêcher, s'excusa la benjamine en jetant un regard complice à sa sœur aînée avant de reporter son attention sur le nourrisson, la mine béate.
— J'imagine à quel point vous devez être ravies de rencontrer votre nièce mais essayez de garder votre calme, les filles. Vous ne savez pas à combien le sommeil d'un bébé peut-être léger, lança Élisabeth dans un soupir las depuis un fauteuil à l'autre bout de la pièce.
— J'ose à peine imaginer l'étendue de ton harassement, déclara Élinor avec compassion à la vue des ombres qui planaient sous ses yeux et effleuraient les prunelles fatiguées de la jeune maman, tu devrais aller te reposer, si elle venait à se réveiller, sois assurée qu'Evalyn et Esther sauront s'occuper d'elle avec leur plus grand dévouement.
En effet, Élisabeth apparaissait exténuée en dépit son doux sourire. Ses paupières, lourdes comme le plomb, menaçaient de se clore à chaque instant, et elle se faisait violence pour conserver son maintien malgré sa langueur. N'ayant même pas daigné se pomponner davantage que nécessaire pour la visite de ses sœurs, ses cheveux, pourtant habituellement soigneusement coiffés, étaient simplement relevés en un chignon négligé, quelques mèches folles s'échappant çà et là. Revêtant un peignoir de velours, elle les accueillit ainsi, humblement vêtue dans sa grâce la plus dépenaillée. La cadette ne parvenait guère à saisir par quel artifice ou quelle magie, même dans un état si épuisant, sa sœur réussissait à préserver une telle splendeur. La bénédiction d'être mère, sans doute.
Un an après son mariage, elle avait accouché d'une ravissante petite fille en excellente santé. Malgré les ineffables joies que lui prodiguait la maternité, elles ne pouvaient toutefois rivaliser avec l'inconfort engendré par un sommeil troublé, altéré par les pleurs intempestifs de son nourrisson au beau milieu de la nuit. La nourrice déployait des efforts désespérés pour convaincre sa vénérable maîtresse de goûter au repos mérité, mais Élisabeth restait inflexible, retenant son souffle pour ne point s'éloigner de son précieux enfant, même pour quelques heures.
Il n'y avait qu'Alphonse qui parvenait à réconforter et apaiser sa chère épouse, prenant à son tour le relais de la garde attentive du nourrisson, lui aussi complètement éperdu de sa "petite princesse". Élisabeth craignait tout d'abord qu'il soit déçu de constater que son premier enfant ne soit pas un fils. Toutefois, quand la question lui fut posée avec prudence, Alphonse, offensé de telles suppositions, répliqua avec indignation que rien ne pressait et qu'il était odieux de proférer pareilles paroles devant sa fille chérie. Lorsqu'elle vint à prendre connaissance de cette histoire, Élinor ne put réprimer un léger haussement de sourcil pétri d'une délicate moquerie. Vraiment, pensa-t-elle en son for intérieur, l'amour avait cette étrange tendance à transformer les âmes les plus éprises en d'aimables personnages aux comportements mièvres et estampillés de ridicule.
— Laisse-moi t'accompagner dans ta chambre, proposa Élinor en lui tendant son bras qu'Élisabeth accepta avec plaisir.
— Je te remercie. Cependant, tu ne m'y prendras pas. Je connais ce regard, j'ai inventé ce regard. Il est empreint de ce subtil mélange de curiosité et de sollicitation, jura son aînée, les yeux pétillants d'intelligence, scrutant sa sœur avec une perspicacité singulière, lisant en elle comme dans un livre ouvert.
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Élinor
Historical FictionProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...