Chapitre 28

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Malgré le soleil au beau fixe, la fin de l'été fut morose pour la famille Ausbourg.

Les balades, autrefois si providentielles et joyeuses, semblaient désormais dénuées de charme car les sujets des conversations de la fratrie s'orientaient sans cesse autour du départ imminent des deux sœurs. Elles préféraient donc se plonger dans le mutisme au grand dam de leurs parents qui ne savaient que faire pour soulager leur peine si ce n'était en leur rappeler inlassablement qu'elles pourront toujours s'échanger des missives ou bien se rendre visite à la moindre occasion.

Lorsque vint enfin le jour du départ, la pluie, comme si le ciel lui-même compatissait à leur douleur, se mit à tomber délicatement. Élinor avait versé tant de larmes au cours des soirées précédentes à l'abri de l'attention dans l'intimité de sa chambre, inondant son oreiller quand venait l'heure de se coucher, que ses yeux ne purent s'embuer alors qu'elle observait le carrosse transportant Élisabeth et Evalyn s'éloigner vers l'horizon. Son apathie, à peine voilée sous ses paupières à demies closes, glaça le sang de son père lorsqu'il croisa son regard vide, dénué d'une quelconque émotion. Monsieur Ausbourg, habitué à contempler le feu animé de passion les prunelles de sa fille, se trouva pétrifié face à cette indifférence profonde, révélée dans l'abîme du noir de ses pupilles.

Élinor demeura immobile, fixant le carrosse qui n'était désormais plus qu'un minuscule point disparaître au bout du chemin avant de regagner l'intérieur de sa maison, Esther sur ses talons. Tout comme sa cadette, la benjamine restait muette, ayant la prescience de reconnaître qu'un soutien silencieux vaudrait mille discours. Le couple Ausbourg ne sachant que faire les laissa s'éloigner, interdit.

— Notre fille est complètement inerte depuis un mois Amos, qu'est-ce que nous pourrions accomplir pour lui redonner du baume au cœur ? L'envoyer en voyage, s'interrogea la matriarche en faisant face à son mari.

— Peut-être devrais-je lui proposer cette éventualité plus tard. Pour l'heure, n'y a qu'ici qu'elle puisse faire le deuil de son âge tendre, Maud. Nous n'avons rien à lui reprocher, elle n'a jamais été aussi assidue dans ses études. Laissons-lui un peu d'espace pour respirer, répondit Monsieur Ausbourg en saisissant affectueusement les mains de son épouse.

Madame Ausbourg laissa échapper un soupir tout en détournant les yeux vers la porte d'entrée de la maison, par laquelle venait de disparaître sa cadette.

— Que penses-tu de sa relation avec Aron Ashford, s'enquit-elle d'une voix teintée d'appréhension. Je sais qu'il est ton ami, mais je sais également qu'une amitié entre deux jeunes gens ne saurait perdurer sans que des sentiments viennent s'interposer. De plus, sa réputation le précède et elle n'est pas reluisante, malgré ce que tu peux en dire. Comment peux-tu être sûr qu'il ne porterait pas préjudice à notre fille ?

— J'ose espérer qu'il ait plus d'honneur que ça ! Jusqu'à preuve du contraire, il n'a eu aucun comportement scabreux envers elle, et si cela avait été le cas, crois-moi que j'eusse été le premier à le provoquer en duel, affirma-t-il avec assurance. De plus, il est l'un de nos principaux clients, devrais-je te rappeler qu'il achète au moins un tiers de ce que nous importons pour alimenter ses industries ?

— Je ne peux concevoir marier ma petite fille à un homme qui a le double de son âge pour notre seul intérêt ! Qu'en est-il de son bonheur, répliqua-t-elle, insatisfaite.

— On ne peut pas l'empêcher de la côtoyer, surtout qu'elle semble bien apprécier sa compagnie. Si elle souhaite l'épouser, la décision lui reviendra. Comment pourrions-nous s'opposer à cette union, d'autant qu'il est l'un des meilleurs partis auxquels elle pourrait pourvoir ? Je te ferai également savoir qu'Élinor n'est plus une enfant et tu connais ta fille, elle ne se consentirait jamais à se laisser dominer ni manipuler par quiconque, que Dieu garde celui qui essaiera de l'amadouer.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant