Un an plus tard, le 2 décembre 1851, alors qu'il siégeait en tant que Président de la Seconde République, Louis-Napoléon Bonaparte fomenta un coup d'État afin de consolider son pouvoir alors que son deuxième mandat présidentiel touchait à sa fin. Élisabeth Ausbourg annonçait également ses fiançailles avec Alphonse de Grouchy.
Deux ans plus tard, le 2 décembre 1852, la France réintégra le régime impérial sous le règne de Napoléon III, et c'est cette même année que le couple officialisa son union par un mariage, scellant ainsi leur destinée.
La cérémonie officielle qui eut lieu à la capitale fut empreinte de solennité et d'austérité, comme il sied aux formalités. Les époux échangèrent leurs consentements devant l'officier d'état civil, dans une salle sobrement décorée de la mairie parisienne. L'importance de l'engagement et des liens juridiques qui en découlaient se reflétait dans la rigueur du protocole.
Depuis le Code Napoléon, le mariage civil entre personnes de confessions religieuses différentes était possible, sans discrimination. Ainsi, bien que la belle Élisabeth fût juive, les deux conjoints décidèrent de s'unir solennellement à l'église, Alphonse étant un fervent chrétien soucieux de respecter cette tradition séculaire. Sa décision ne troubla en rien la jeune promise, car au-delà des rites de leur mariage, elle savait que l'appartenance religieuse de leurs enfants serait automatiquement héritée de celle de la mère, selon les coutumes en vigueur dans le judaïsme. Bien qu'épris l'un de l'autre, leurs esprits rationnels s'étaient tout de même heurtés au contrat conjugale sous-jacent qui découlait de leur union, afin d'assurer à leur ménage une pérennité.
Depuis sa place de témoin au premier rang devant l'autel, Élinor se ravissait de voir son aînée ainsi emprise de félicité, les joues rosées et les yeux étincelants, resplendissant telle une muse enchanteresse, parée des atours nuptiaux qui rehaussaient encore son éclat radieux alors que le couple échangeait leurs alliances. Vêtue d'une robe de mousseline blanche victorienne richement ornée, elle semblait tout droit sorti d'un conte de fées à l'image d'une reine, sa longue traîne dans son sillage. À côté d'elle, certes plus formel, son époux Alphonse n'était pas en reste, arborant une allure aussi noble qu'impeccable dans son habit de soie noire à la coupe droite.Alors qu'ils quittaient l'estrade sous les applaudissements de l'assemblée, Élinor pria de tout son être pour que leur couple demeure soudé en dépit des sentiments qui, par définition, se révélaient fluctuants.
L'aînée, désormais hors de portée, laissant derrière elle un parterre de prétendants déçus, tous les regards se tournaient maintenant vers sa cadette. Plongée au cœur de l'attention, Élinor faisait preuve d'une élégante réserve pour éviter avec fermeté les œillades appuyées de ses soupirants éconduits. Une légère pointe d'amertume vint endiguer son confort lorsqu'elle réalisa l'effervescence suscitée par son exploit que fut de rattraper les fleurs de sa sœur lors du lancer de bouquet. De discrets murmures parmi les convives témoignaient de l'importance accordée à ce simple geste, amplifiant ainsi la pression qui pesait sur ses épaules.
Malgré le cours des deux années écoulées, peut-être était-elle plus âgée, mais nullement plus sage ; ses opinions sur les épousailles n'avaient guère fléchi. Toujours encline à préserver son indépendance, Élinor demeurait farouchement fidèle à ses convictions profondes. Si seulement ces galants, emplis d'espoir, pouvaient entrevoir le peu d'intérêt que la jeune demoiselle portait au mariage, ils s'épargneraient bien des vaines énergies à tenter de la séduire.
En dépit de sa répugnance à l'égard des engagements matrimoniaux, Élinor trouva un certain amusement dans l'attention que lui témoignaient les hommes, et finit par cultiver avec habileté sa petite cour de soupirants, telle une fine courtisane des salons. Après tout, si la situation ne lui plaisait guère, elle pouvait toujours s'efforcer d'en jouer au lieu de la subir. Et dire qu'elle avait condamné ses semblables qui s'adonnaient au jeu du flirt à l'époque ; désormais, elle comprenait à quel point il était valorisant pour une dame de se sentir désirée, de constater l'intérêt que pouvait susciter un simple regard appuyé chez les plus férus gentilshommes. Ces deux années de réceptions et de mondanités l'avaient gratifiée d'une confiance inébranlable en sa beauté, ainsi qu'en ses autres atouts, telle que son éloquence vive et piquante. Sa verve était une arme acérée qu'elle maniait avec assurance, provoquant rires et émerveillement lorsqu'elle se livrait à des joutes verbales aussi spirituelles que captivantes.
Son charme incontestable résidait également dans ses petits rictus mutins, espiègles et délicieusement pincés, qui se dessinaient sur ses lèvres fines et rouge. Ces sourires étaient autant d'éclairs malicieux dans son regard vif et pénétrant, qui faisaient fondre les cœurs de ses prétendants. Elle avait appris à manier cet art subtil de la séduction avec une maîtrise enviable auprès de Mademoiselle Polignac. D'une amabilité sans faille, elle était surtout bien moins sotte qu'elle se plaisait à le faire croire. Elle lui prodiguait les enseignements délicats d'une mignardise que sa gouvernante bien trop respectueuse des conventions n'aurait osé évoquer. En échange, la jeune demoiselle lui apprenait la rhétorique et les délices de sa vie champêtre. Ainsi, de cette étonnante association, naquit une amitié aussi sincère qu'inattendue, unissant deux esprits radicalement hétéroclites, Élinor Ausbourg, la vive et pétillante et Appoline Polignac, la douce et discrète d'une abnégation sans faille.
Concernant sa besogne, la bienveillance de ses parents avait permis son immersion progressive dans les affaires, en qualité de spectatrice pour l'instant. Ainsi, tantôt aux côtés de son père, tantôt auprès de sa mère, Élinor se frayait un chemin dans les arcanes des négociations, et cette audace ne manquait point d'étonner les partenaires commerciaux. Contempler cette jeune demoiselle, dotée d'une prestance remarquable, arborant un regard aiguisé, empreint de vivacité et d'intérêt passionné pour le travail, était une expérience singulière pour ces hommes d'affaires. Telle une ombre silencieuse, elle prenait des notes par centaine, plongée dans l'observation attentive des échanges animé et, avec discrétion, glissait çà et là une remarque perspicace ou une question bien sentie à l'oreille avisée de l'un de ses parents, se montrant d'une sagacité étonnante lorsqu'il s'agissait d'associer la politique au commerce.
Toutefois, malgré ses fulgurances, ses géniteurs restaient catégoriques dans leur décision : elle n'avait pas à intervenir dans les affaires familiales. La jeune demoiselle se sentait quelque peu frustrée de ne pouvoir mettre à profit ses talents et son intellect, mais elle se consolait en se rappelant qu'il était peut-être présomptueux de prétendre gérer de telles finances en qualité de jouvencelle, même si cela venait entamer sa fierté.
Elle se souvenait également des sages paroles d'Élisabeth qui l'avait avertie sur les retentissements que pouvaient engendrer un trop grand intérêt pour son "petit égo". Lesquels ? Élinor se gardait bien de les deviner car l'unique conséquence pour l'heure se trouvait être sa frustration.
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Élinor
Ficción históricaProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...