Son retour à Provins fut promptement orchestré. Durant les préparatifs, Aron s'ingénia à éviter autant que faire se peut la rencontre avec Élinor. Il nourrissait une certaine rancœur envers son tempérament inflexible et trouvait mille raisons d'être courroucé. Toutefois, à mesure qu'il croisait son regard, il sentait son cœur s'adoucir ce qui rendait sa colère plus vive encore. Contourner la confrontation lui apparut dès lors comme la solution la plus judicieuse.
De son côté, la jeune épouse se découvrit irrémédiablement enserrée par les rets de sa faute, dépourvue de tout moyen expiatoire. Son époux, éperdument évasif, se dérobait à ses avances, lui offrant en partage des regards oscillant entre l'indifférence au mieux et le dédain au pire, ainsi qu'une expression hermétique, érigée en rempart infranchissable, dénuée de toute inclination à la conversation. Ainsi, lors des rares rencontres fortuites, elle arborait une élévation de port altière, cherchant à préserver un simulacre de dignité et d'imperturbabilité. Malgré l'ardeur du feu insidieux de la honte et du remords consumant son esprit, elle persistait à redresser le front, une émanation de grâce feinte, tel un mirage en quête d'apaisement.
Élinor élut l'arrogance de porter sa solitude avec une fierté inaltérable plutôt que de s'exposer à sa présence. Assurément, elle se complaisait dans la solution aisée, mais l'accablement de sa grossesse et les affres des nausées ne la dotèrent point du courage nécessaire pour se confronter à son époux. En outre, tandis que la gestation aurait dû lui imposer son fardeau, au cours des quinze jours qui précédèrent son départ, elle s'affina au point que, le jour de son exode, les jointures de ses poignets ne furent jamais aussi fines, tels des entrelacs d'une délicatesse presque aérienne.
Lorsque ses effets furent soigneusement disposés, Aron tint son rôle de mari et de gentilhomme et vint la chercher dans sa chambre pour ensuite la conduire gracieusement jusqu'à son attelage. Au moment où elle lui offrit sa main dans un silence pesant, malgré la barrière de son gant, il entrevit la délicatesse de ses doigts et la rugosité de ses jointures. Arrivés à la calèche, alors qu'elle s'apprêtait à monter, il la retint délicatement.
— Reposez-vous convenablement, et surtout, prenez bien soin de vous sur le chemin et n'oubliez pas de bien vous nourrir.
Élinor, scrutant son regard dans l'espoir d'y déceler quelques messages latents avant son départ, ne reçut qu'une inclination courtoise en réponse, avant que son mari ne regagne, avec une retenue toute aristocratique, le seuil de son appartement.
— Je survivrai, lui jeta-t-elle avec une candeur teintée d'une détermination ineffable, avant de lui octroyer un sourire poli, tandis qu'il amorçait un brusque revirement. Elle s'engouffra alors prestement dans la voiture avant de commander au cocher de partir.
La jeune dame fit une halte à l'appartement de ses sœurs pour récupérer Victor, nourrissant également l'espoir d'avoir l'opportunité de leur dire au revoir en personne avant de rejoindre leurs contrées. Lorsqu'elle frappa à la porte, elle fut ravie d'être accueilli par ses deux petites domestiques à la chevelure flamboyante préférées, mais rapidement refroidit en apprenant que ni Evalyn, ni Esther n'avait pu se libérer pour la journée. Le petit lui trépignait d'impatience. Il avait beau se réjouir de la compagnie des demoiselles Ausbourg, son cœur ne battait véritablement que pour la perspective de retrouver les étendues sauvages des landes d'herbes en friche et les forêts touffues de feuillus, où il avait érigé quelques modestes cabanes.
Durant le repas, il ne se départit guère de son enthousiasme, jacassant sur toutes les activités auxquelles il s'adonnerait, une fois "de retour à la maison". Élinor l'écouta religieusement débiter en lui adressant un sourire çà et là pour ponctuer son récit même si son esprit divaguait.
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Élinor
Historical FictionProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...