Chapitre 20

65 6 3
                                    

Les jours filaient à une vitesse folle entre ses escapades dans le bureau de sa mère pour étudier le commerce et ses balades équestres. Bientôt le reste de sa famille rentra au domaine et reprirent le fil de leur existence, guettant avec impatience le prochain bal qui se tiendrait en ces mêmes lieux.

Élisabeth semblait s'être éprise du fils d'un Duc, captivé par son charme, irrésistible évidemment. C'est ce que laissait en tout cas transparaître son journal, que l'indomptable Esther avait découvert peu de temps après son retour, c'était à se demander comment elle eut pu imaginer un jour finir vieille fille. Le récit de son existence frôlait le mélodrame, ce qui l'agaçait d'autant plus que son aînée puisse mener la vie rêvée de l'héroïne d'un roman romanesque. Malgré tout, il y avait quelque chose d'amusant à voir ainsi timorée, rougissant au moindre sous-entendu. Il était rare que cette grande dame fasse pareillement l'étalage de ses faiblesses en public, si bien dissimulées habituellement derrière le voile de sa bienséance.

Deux semaines plus tard, leurs nouvelles robes de bal arrivèrent, délicatement empaquetées dans du papier de soie d'une exquise opulence. À la vue de ces parures étincelantes, ses trois sœurs s'émerveillèrent, leurs yeux pétillants dansant de joie tandis qu'elles faisaient tournoyer les étoffes somptueuses, laissant échapper des gloussements légèrement hystériques. Quant à Esther, sa réflexion s'égarait vers les dizaines de francs que représentaient ce papier de soie désormais froissé et déchiré, gisant lamentablement sur le sol. Une idée surgit alors dans son esprit audacieux : peut-être pourrait-elle envisager de les revendre au village pour en tirer quelques bénéfices ? Après tout, la cote de la soie ne faisait que grimper, et l'opportunité s'offrait à elle comme une pépite d'or au milieu d'une mine inexplorée. Loin de s'offusquer d'avoir un esprit si avide, elle se réjouit d'avoir envisagé un moyen aussi astucieux pour gratter quelques piécettes.

Toutefois, à l'instar du reste de sa fratrie, la jeune fille ne put réprimer un sentiment de ravissement à l'égard de cette nouvelle robe, confectionnée dans un somptueux taffetas vert amande à la jupe évasée, sublimée par de fins volants délicatement plissés. La parure se mariait avec une capote de velours assortie. Sans doute allait-elle attirer encore plus de regards aigris et attiser davantage les convoitises de ses détractrices lors de la prochaine réception, la jeune fille s'en délectait d'avance.

Élinor délaissa quelque temps l'étude du commerce pour s'adonner à celle de la politique et de l'histoire. Sa gouvernante, étonnée de voir son élève habituellement si dissipée, s'émerveillait devant tant de sérieux et d'application dans l'accomplissement de ses devoirs. La plume glissant avec aisance sur le papier, elle scrutait attentivement chaque trait, redoutant le moindre signe d'une quelconque intention malicieuse. Pourtant, Élinor n'esquissa aucun geste qui aurait pu laisser présager un méfait. Son esprit était entièrement plongé dans l'exploration des arcanes de ces sujets, omettant toute idée de facétie ou de désobéissance.

Ses parents observaient ces changements avec une attention bienveillante, concluant simplement que les méandres du temps et l'épanouissement naturel de leur fille l'assagissaient, et que bientôt la demoiselle aspirerait aux mêmes sphères d'intérêt que son aînée. Le couple Ausbourg, confiants en l'évolution vertueuse de leur enfant, ne se doutait pas un instant des manigances opérées par la jeune effrontée en secret. Telle une ombre rusée et insaisissable, elle se faufilait dans le boudoir de sa mère à la moindre occasion, accompagnée discrètement de sa benjamine, pour s'instruire davantage sur l'argent et ses sources, tissant sa toile doucement mais sûrement.

La cadette lorgna longtemps du coin de l'œil le livre "La Lettre écarlate" avant d'oser enfin entamer sa lecture. Par fierté sans doute, cherchant à ne pas donner raison à l'orgueilleux Monsieur Ashford, elle se laissa finalement séduire par la perspective d'explorer le récit. À force de se renseigner sur toute cette société dans laquelle on la poussait à se mêler, elle avait appris à admettre que l'homme était certes complexe, mais pas une mauvaise personne pour autant, même si elle se plaisait à associer à son nom tout un tas d'adjectifs railleurs. La jeune demoiselle consentit également que cette œuvre explorait avec subtilité l'humanité et ses dualités, plongeant ses deux protagonistes principaux au plus profond de leur solitude, pour y confronter leurs conflits intérieurs. S'identifier aux personnages ne fut point chose aisée, mais elle réussit tout de même à éprouver de la compassion pour eux, notamment vis-à-vis du pasteur qui périt d'épuisement, rongé par le remords et la culpabilité, dévoré par ses propres démons. Elle prêta le livre à sa benjamine qui se lamenta qu'il n'ait pas une fin heureuse, évidemment.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant