Lorsqu'Aron Ashford convia Esther à une valse, elle accepta toute guillerette. D'abord réfractaire à cette association, l'assemblée finit par se détendre, voyant à quel point la jeune demoiselle était aux anges. La scène de cet homme immense, d'un mètre quatre-vingt-huit, avec ce petit gabarit d'un mètre quarante, prêtait bien plus à rire qu'à engendrer les scandales. Guettant d'un œil perspicace les regards de ses censeurs, Esther arborait un sourire à la fois radieux et empreint d'une certaine arrogance qui semblait susciter chez elle une délectation particulière en plus de se gausser lorsqu'il la faisait tournoyer dans les airs.
Pour les accompagner, Élinor convia Evalyn, à danser avec elle, se targuant de jouer le gentleman. Les deux sœurs exagéraient délicieusement leurs pas, se retenant de s'esclaffer à chaque instant. Leur entrain était contagieux, et dans un tourbillon d'élégance, tous les jeunes gens vinrent se mêler à elles, donnant vie à une scène pleine de fraîcheur et de gaieté. Les robes virevoltaient dans les airs, les rires emplissaient la salle, et l'esprit joyeux de la jeunesse se reflétait dans chaque mouvement. Contrairement au dernier bal où la majorité des danses étaient des valses, en cette soirée, l'ambiance était au dynamisme et à la diversité. Les couples se croisaient avec entrain autour du cotillon et de la quadrille, animant la piste de rythmes plus énergiques.
L'atmosphère était au beau fixe, empreinte d'une sérénité retrouvée, et les tensions qui avaient pu régner auparavant s'étaient complètement évaporées telles les brumes du matin dissipées par les premiers rayons du soleil. Quand vint le tour des aînés d'occuper la piste, le buffet fut assailli. Après tant d'énergie gaspillée tous ressentaient le besoin pressant de se désaltérer et de se restaurer pour reprendre des forces.
Sa coupe à la main, Élinor s'adonnait sans retenue aux délices des breuvages, chaque gorgée semblant insuffisante pour étancher sa soif insatiable. La lumière des lustres, miroitante et chatoyante, lui offrait un éclat éblouissant, tandis que ses sens s'embrumaient peu à peu, l'espace se transformant en un kaléidoscope de tâches colorées incandescentes. Au cœur de cette confusion ensorcelante, elle crut entrevoir une ombre ténébreuse. Elle prenait forme, se dessinant contre le fond radieux de la scène qui se rapprochait insidieusement, jusqu'à revêtir une apparence étrangement humaine.
— Mademoiselle Ausbourg, l'interpella le spectre avec sollicitude.
Élinor secoua légèrement la tête, tentant de dissiper le brouillard qui l'assaillait, pour mieux contempler le visage de cette mystérieuse silhouette. Ses paupières s'agitèrent frénétiquement telle une paire d'ailes de papillon, cherchant à percer le mystère qui se dissimulait derrière cette énigmatique figure.
— Ôôôh, c'est vous, Aron ! Merci, merci énooormément pour le service rendu à ma sœur. Vous êtes vraiment, vraiment insupportable ! Oui, c'est cela, un débauché insupportable, articula-t-elle en essayant de se servir à nouveau une louche de boisson en dépit de sa gestuelle chancelante.
— Combien de verres avez-vous bu ?
— Deux, ou peut-être cinq. À moins que ce ne soit huit, je ne sais plus trop. Vous savez, ce breuvage est déééélicieux ! Je vous le conseille vivement, continua-t-elle malgré son discours endigué par des ricanements et des hoquets intempestifs.
— Mademoiselle, ce n'est pas du jus de fruits, c'est du punch, l'informa-t-il avec un sourire espiègle aux lèvres, amusé de voir la jeune fille, d'habitude si fière, désarmée et vulnérable.
Élinor se figea instantanément, les yeux rivés sur son verre désormais vide. Alors qu'Aron pensait qu'elle recouvrait peut-être ses esprits, elle éclata finalement de rire, un rire étincelant et enjoué, se délectant de son propre reflet déformé dans le cristal.

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Élinor
Fiksi SejarahProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...