Chapitre 61

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Madame Ausbourg fut bien embêtée de ne pas trouver le reste de ses filles. Les circonstances étaient telles qu'il aurait été d'une complexité inouïe de lui exposer la réalité : Élisabeth, depuis belle lurette, avait quitté le domaine avec mari et enfants pour la Normandie, tandis qu'Evalyn et Esther s'enracinaient dans les fastes de la capitale, chacune poursuivant ses desseins personnels. Élinor, en bonne fille, avec une habilité coutumière, usa d'une de ses ruses bien connues, utilisant une justification toute trouvée pour pallier leur absence en proposant à leur mère une escapade au village, une simple balade champêtre, en somme, afin de camoufler leur retrait de la scène familiale.

De quelle autre manière aurait-elle pu, en toute sécurité pour la fragilité de son état de santé, lui communiquer de telles informations ? Même si, dans les affres de son déclin, la matriarche s'obstinait à oublier le moment présent et à nier l'avenir, la jeune demoiselle se trouvait dans l'incapacité de lui arracher la félicité que lui apportait la douce réminiscence des jours passés.

Quant à Aron, il éprouva une profonde contrariété face à son impuissance manifeste. Toutefois, il fit montre d'une intelligence précieuse en évitant de s'immiscer dans cet épineux problème familial qu'était la démence avancée de sa future belle-mère. Il avait été imprudent de croire, néanmoins, que la scène de cette femme confuse serait amusante. La réalité, malheureusement, se révélait plus morose, voire sinistre. Il se résolut à ne fournir qu'un soutien physique à sa promise, dont la ferme étreinte autour de son bras résistait, en dépit de son apparente indifférence. Cet appui, en vérité, demeurait son unique et inébranlable point d'ancrage au sein de cette réalité vacillante mais jamais elle ne l'admettrait à haute voix.

Lorsqu'ils pénétrèrent dans le petit salon, Madame Ausbourg les attendait déjà, confortablement assise dans un fauteuil, accompagnée de deux tasses de café fumant.

— Comme je te suis reconnaissante de guider notre invité Élinor. Il est pour le moins étonnant qu'Amos, d'ordinaire si ponctuel, ne se soit point manifesté pour lui souhaiter la bienvenue.

— En toute vérité, je me suis présenté en ces lieux avec une avance considérable, se justifia Aron, mes précédentes obligations ayant pris fin plus tôt que prévu.

— Vous m'en voyez comblée de quiétude. Il est à noter, qui plus est, que ma fille aînée se trouve actuellement chez la modiste en compagnie de mes deux cadettes... Il semblerait que le hasard ait orchestré cette conjoncture afin de nous priver de leur présence, établi Maud d'un soupir empreint de perplexité.

— Mère, ne voyez-vous pas là qu'une simple coïncidence, s'interposa Élinor.

— Vous avez sans doute raison. Cependant, ce qui me surprend le plus, ce sont tes manières. Je suis agréablement surprise de constater que tu t'acquittes de tes devoirs de maîtresse de maison en l'absence d'Élisabeth. D'ailleurs, je crois que tu peux lâcher le bras de Monsieur Ashford désormais. Asseyons-nous, je vous en prie.

Le couple se sépara, chacun s'asseyant sur un siège à l'antipode l'un de l'autre. Aucun ne savait comment aborder la question de leur mariage, ils se contentaient donc d'échanger des regards embarrassés, alors que la matriarche, toujours aussi habile oratrice, entretenait le dialogue de son éloquence.

— Mère, je me dois impérieusement de vous confier une nouvelle d'une importance capitale.

— Qu'est-ce donc ? Espérons que cela ne soit pas une réitération des aveux de larcins dans les alcôves de la cuisine ou de virées nocturnes pour s'adonner à des batailles de boules de neige.

— Des batailles de boules de neige, railla Aron, un sourire en coin ourlant ses lèvres.

— C'est une vieille histoire, avoua Élinor, penaude.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant