Chapitre 4

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— Le soleil est encore trop haut pour commencer la prière. Si vous me faisiez le récit de vos aventures, mesdemoiselles, demanda Monsieur Ausbourg en s'asseyant à l'extrémité de la table après avoir au préalable salué respectueusement son épouse.

— J'ai consacré ma journée à l'étude, s'enorgueillit Esther dont on pouvait lire la fierté sur son sourire bouffi d'orgueil.

— Quant à moi, j'ai surtout pratiqué mon violon, répliqua Evalyn, le regard pétillant d'excitation. J'ai répété assidûment ma sonate et je serai bientôt en mesure de vous la jouer, père, annonça-t-elle guillerette.

— Je me ravis déjà de l'écouter dans un avenir proche.

— J'ai discuté avec mère de l'organisation des bals et réceptions à venir, informa Élisabeth d'un ton assuré.

— Dans ce cas, il faudra vous rendre chez la modiste pour vous procurer de nouvelles robes, ajouta-t-il en se tournant vers sa cadette. Et toi, Élinor ? Tu demeures bien silencieuse, ma chère enfant.

La jeune fille qui s'amusait jusque-là à triturer les rebords de la nappe avec ses doigts délicats releva brusquement la tête vers son père. Son regard trahissait un mélange de surprise et de légère appréhension. Elle ne pouvait décemment pas lui avouer qu'elle avait seulement consacrée sa matinée à ses devoirs et le reste de sa journée à manger des pâtisseries ou à flâner sous la pluie. Un léger sourire malicieux se dessina sur ses lèvres alors qu'elle réfléchissait à une réponse qui ne trahirait pas son comportement frivole.

— Oh et bien je n'ai guère accompli grand-chose... Dites-moi, père, serait-il donc inéluctable que je sois présente à tous ces bals ? J'ai déjà abordé la question avec mère, et il semblerait que la sentence soit irrévocable, osa-t-elle, un soupçon d'espoir dans la voix.

— Il serait préférable en effet. Que devrais-je répondre aux convives lorsqu'ils constateront que l'une de mes filles manque à l'appel selon toi ?

— Qu'elle s'est cassé le pied ou qu'elle a attrapé la grippe, que sais-je. Vous pourriez m'imaginer bien des excuses, je crois vous savoir doué avec les mots. Après tout ils n'ont pas besoin de connaître la vérité, seulement de celle qu'ils veulent entendre...

— Élinor, qu'elle est cette vérité ? Trouverais-tu si désagréable que de participer à un bal ? Tu conviendras qu'il existe des épreuves bien plus terribles, nous ne te demandons pas de partir en croisade tout de même, s'exclama son paternel.

— Les inconnus me mettent mal à l'aise. Et si je me rendais idiote ? Et si, par ma présence, j'entravais les opportunités de mariage d'Élisabeth ? Je ne voudrais en aucun cas vous causer la moindre honte, ni à vous, ni à mère, admit-elle avec contrition.

— En vérité, nous partageons cette appréhension, intervint Evalyn en signe de solidarité, soutenue par Esther qui approuva ses paroles.

— Depuis des années, votre mère, vos gouvernantes et moi-même vous avons offert l'éducation la plus soignée qui soit. Jamais vous ne pourriez nous déshonorer, à moins de le vouloir délibérément. Mais peut-être est-ce de notre faute ? Peut-être aurions-nous dû vous envoyer étudier en ville, car vous êtes si éloignées de tout, ici, dans cette demeure reculée des landes...

— Rassurez-vous père, en aucun cas nous n'avons connu le moindre malheur. Jamais nous n'aurions pu espérer une existence aussi épanouie que celle vécue au domaine, avec pour seul horizon un paysage d'une beauté bucolique, s'empressa de répondre Élinor, animée d'une sincérité touchante. Nous sommes comblées au-delà de nos rêves les plus fous, grâce à votre générosité, chère mère et vous-même. En réalité, c'est plutôt moi qui devrais m'excuser... Avec mon égoïsme, j'ai l'impression de vouer un culte à l'ingratitude. Je conçois à présent que la peur de ne pas être à la hauteur de vos attentes affecte mon discernement...

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant