Chapitre 52

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La maisonnée Ausbourg, emplie de fébrilité à l'idée de partager à nouveau un repas ensemble, se hâta d'occuper les places disposées autour de la vaste table qui trônait au milieu de la salle à manger. Là, dans une ambiance empreinte de candeur, retrouvant cette complicité si simple de leurs jeunes années, la fratrie accompagnée du petit Victor se prépara à poursuivre leurs échanges enjoués en dégustant un festin somptueux, lequel les fastes furent en partie orchestrés par les finances d'Élisabeth. Celle-ci, parmi d'autres motivations, trouva légitimité à son geste en le qualifiant de "présent célébrant la fin de l'année". Cependant, Élinor, dont la perspicacité n'avait d'égale que son orgueil, ne fut pas dupée par cette générosité affichée. Elle démêla avec finesse le véritable fil des intentions de son aînée, discerner une tentative de soulagement de conscience suite à ce qu'elle considérait comme l'abandon de ses sœurs depuis son mariage.

Point ne se montra la jeune demoiselle ingrate, nul soupçon de plainte ne franchit ses lèvres délicates. Il est vrai que les saisons passées avaient vu s'éloigner d'elle la possibilité d'apprécier un repas complet, happée par le tumulte du temps qui s'écoulait impitoyablement, ou bien par les restrictions des moyens qui se faisaient mesquins. En cette soirée singulière, elle fit la promesse silencieuse d'assouvir son appétit en savourant chaque mets, chaque bouchée avec une délectation renouvelée.

Désormais, Victor arborait une charmante béatitude en présence des demoiselles qui, naguère, avaient suscité en lui maintes inquiétudes. Avec zèle, il se fondait dans les flux des conversations avec une quiétude empreinte d'aisance, comme si le miracle d'une métamorphose intérieure ressuscita en lui sa curiosité candide d'enfant et ravivé les flammes vives de son esprit. À cet égard, son âme témoignait d'une gratitude infinie envers ses sœurs pour l'accueil qu'elles lui avaient offert à bras ouverts. Elle contemplait la preuve intangible de leur éternelle loyauté.

En contemplant cette effervescence réjouissante, Élinor saisit l'ampleur du bonheur qui avait pu étreindre son père lorsque exténué par les affres d'une semaine morne de labeur, il regagnait enfin le havre de sa demeure, vibrant de vie. C'était un tumulte, une cacophonie, mais une cacophonie de gaieté et d'énergies positives dont l'écho ne saurait lasser les sens. Car les éclats de rire, lorsqu'ils étaient sincères, possédaient une mélodie enchanteresse à laquelle l'oreille ne peut se dérober, une douce symphonie de l'allégresse qui enchantait le cœur et éveillait une affection qu'on ne saurait épuiser.

Ainsi se trouvait-elle à bercer les émotions dans le doux écrin de la mièvrerie. Toutefois, elle se devait d'admettre qu'il lui était impossible de revêtir l'habit de la perfection en chaque instant. Une douce ironie de la destinée se révélait à elle : cette réalité, autrefois perçue à travers le prisme parfois rigide de sa vanité prenait désormais une teinte d'agrément, une teinte que naguère elle n'avait point envisagée.

— Nous n'avons pas eu le temps d'aller saluer mère, comment se porte-t-elle, s'enquit Élisabeth auprès de sa cadette avec sollicitude.

Et c'est ainsi que l'insouciance prit fin.

— Elle se porte à merveille si l'on daigne occulter les interstices laissés par ses absences et ses divagations, admit Élinor dans un soupir résigné, on ne peut rien faire pour la soigner, croyez-moi.

— Je me trouve tiraillée quant à la décision d'aller la voir, avoua Esther avec honnêteté, car l'appréhension des conséquences m'étreint.

— Si la grâce m'est offerte de t'infuser quelque tranquillité, sache que ta réponse ne saurait être en deçà de la mienne en termes d'intensité. Je me suis évanouie dans une flaque de nausée de ma propre création.

— Ce n'était pas tant une réaction face à la folie de notre mère qu'une conséquence de ton surmenage, supposa Evalyn avec perspicacité.

— Tu n'as sûrement pas tort, acquiesça Élinor, néanmoins, je m'interroge : comment parvenez-vous à maintenir une sérénité aussi inébranlable ?

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant