Chapitre 5

96 9 3
                                    

Le jardin de Madame Ausbourg baignait dans un silence rassurant s'enveloppait d'une quiétude réconfortante. Cette tranquillité si évocatrice de la ruralité, lors des nuits estivales, s'entrelaçait aux stridulations des grillons et aux murmures des feuilles de chêne, doucement caressées par la brise.

Tandis qu'ils arpentaient silencieusement l'avenue entre les bosquets, Élinor lançait de fugaces regards discrets en direction de son père qui, le visage droit et digne, fixait l'horizon. Jamais la jeune fille n'avait redouté ses reproches, elle et ses sœurs bénéficiant de sa bienveillance, car malgré leurs escapades et leurs écarts, elles s'acquittaient toujours de leurs devoirs avec rigueur. Souvent absent pour pourvoir à l'opulence et au faste de son foyer, cet homme ne souhaitait guère s'attarder sur des futilités et préférait passer l'éponge sur les frasques de ses filles, afin de savourer au mieux leur insouciante allégresse, qui réchauffait son âme et l'éloignait de sa monotonie parisienne.

J'ai bel et bien constaté que quelque chose n'allait pas durant le repas. Qu'est-ce qui te trouble au point d'omettre ton sourire en un jour de Shabbat, Élinor, interrogea-t-il enfin, rompant ce long mutisme.
Ébranlée, la jeune fille perdit l'usage de la parole, se bornant à ouvrir et fermer la bouche telle une carpe, craignant de voir ses mots se muer en sanglots. Alors que des larmes affleuraient aux coins de ses yeux, elle détourna le regard, afin d'éviter que son père ne s'inquiète en constatant ses pupilles dilatées.

— J'ai peur père. Peur que tout change. Peur de perdre Élisabeth. Peur de m'éloigner d'Evalyn et d'Esther. Peur de devoir vous quitter vous, mère et notre maison, admit-elle la voix tremblante, resserrant l'étreinte autour du bras de son paternel.

— Et bien... Je crois qu'il est temps que je te raconte comment j'ai rencontré ta mère, déclara le patriarche en levant les yeux au ciel, empreint de nostalgie, mû par le souvenir du premier jour où il avait croisé cette jeune effrontée désormais devenue son épouse.

Plusieurs années auparavant...

"Célébrant à peine sa vingtaine, Amos Ausbourg paradait pourtant fièrement dans son nouvel uniforme militaire tout neuf, tel un jeune général décoré. Lui qui ne connaissait rien de l'âcreté de la guerre sinon les récits des glorieuses campagnes napoléoniennes que lui contait son père avec hardeur. Jamais il n'avait constaté pareille admiration dans les yeux de son paternel que lorsque celui-ci mentionnait fût l'empereur dont l'ambition l'inspirait chaque jour à redoubler d'efforts dans sa besogne. En attendant de pouvoir participé à cette gloire désormais passée, il profitait de cette dernière fenêtre d'ignorance ou l'honneur de partir au combat le noyait de compliments de la part des amis de son aïeul.
Toutes ces joyeusetés hypocrites hélas ne le ravir qu'un instant, les sérénades et les révérences, le jeune homme s'en accommodaient. Moult heures passées à lancer des sourires et à exprimer des reconnaissances, Amos s'enfuit dans les jardins afin de profiter de quelques minutes de solitude. Alors que le freluquet pensait l'intégralité des invités valsant à l'intérieur, il se surprit à rencontrer une âme en perdition, elle aussi sûrement quémandeuse de tranquillité.

La jeune fille dont le chapeau et les chaussures jonchaient sur le sol quelques mètres plus loin faisait de la balançoire, sa tresse négligée flottant au vent. Lorsque ses prunelles pétillantes de malice croisèrent celles d'Amos, il s'en retrouva pétrifié sur place. Lui qui s'était évertué toute la soirée de faire bonne figure finit penaud à lorgner ses chevilles. Jamais il n'avait fait la connaissance d'une demoiselle assez téméraire pour oser dévoiler ainsi la dentelle de ses bas alors révéler ses orteils...

— Combien de temps comptez-vous m'espionner encore ainsi, demanda-t-elle d'un ton incisif, sautant à pieds joints dans l'herbe sans se soucier un instant de chausser à nouveau ses bottes pour lui faire face.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant