Élinor se laissa guider à travers les dédales des couloirs, son esprit en ébullition comme elle songeait à la stratégie à adopter pour assurer le succès de son plan. Devrait-elle jouer la carte de l'honnêteté ou bien amener insidieusement Aron à lui proposer de l'argent ? Les questions fusaient à toute vitesse dans son subconscient, tandis que pas à pas, ils pénétraient dans un vaste boudoir. L'antichambre se présentait à elle, ses meubles parés de draps immaculés pour éviter tout dépôt de poussière, hormis le bureau trônant majestueusement au cœur de la pièce visiblement utilisée, les documents éparpillés à sa surface en témoigne. Élinor s'assit sur une banquette alors que Monsieur Ashford resta debout à farfouiller dans ses papiers.
— Vos réserves me laissent songeuse, confessa-t-elle, tandis qu'elle examinait le décor alentour. Pourquoi donc avoir choisi de m'inviter en ce lieu aux allures vétustes ? Outre la première façade, l'Hôtel ne semble guère disposé à recevoir des hôtes de marque, releva Mademoiselle Ausbourg avec une pointe d'inquiétude. Auriez-vous, par malheur des soucis financiers, s'enquit-elle avec tracas, craignant que tous ses efforts n'aient été inutiles pour qu'il lui annonce finalement être ruiné.
— Grand Dieu, nullement ! Toutefois, votre sollicitude à cet égard me touche. J'étais simplement convié à une rencontre non loin d'ici, ce qui rendit nos retrouvailles au sein de la demeure de mon amie des plus pratiques, expliqua-t-il promptement.
— Votre amie, interrogea-t-elle, déconcertée. Serait-elle d'un rang noble, voire membre de la famille impériale ? Je peine à concevoir comment elle pourrait, autrement, se permettre de s'offrir un tel édifice aux Champs-Élysées.
— C'est une courtisane, admit-il sans détour, l'une des plus convoitées de la capitale, peut-être même la plus prisée.
— Dans ce cas elle n'est pas votre amie mais votre amante, s'énonça Élinor, non sans scepticisme, ne trouvant guère crédible l'idée d'une amitié sincère entre un homme et une prostituée.
— L'un n'empêche pas l'autre. Enfin, point du tout, je ne fais pas partie de ses soupirants. Nous nous rencontrons seulement lors de ses salons littéraires avec quelques connaissances.
— Comment a-t-elle pu amasser de telles richesses avec cette... Activité, questionna-t-elle avec curiosité. J'ai entendu dire que les femmes de plaisir menaient des vies des plus précaires.
— Elle a su séduire les hommes généreusement pourvus, confia-t-il avec sarcasme.
— Au point qu'ils lui offrent des résidences luxueuses entièrement sculptées dans le marbre ?
— Mademoiselle, vous seriez surprise de savoir ce dont un homme est capable lorsqu'il est épris, affirma Aron, plongeant ses yeux dans les siens d'une manière qui ne manqua pas de la troubler, étant donné la teneur de ses propos. Heureusement, elle recouvra rapidement son assurance.
— Vous croyez, intima-t-elle, engageant un jeu de regards, esquissant un subtil sourire en coin, se remémorant qu'elle devait le séduire pour lui extorquer quelques écus.
— J'en suis sûr. Voyez-vous, dans un monde où l'homme aime la femme pour ce qu'elle est et la femme aime l'homme pour ce qu'il a, il serait nullement improbable que le bougre ne se risquât à cueillir le fruit vénéneux pour les prunelles de la belle de son cœur.
Élinor aurait ardemment désiré porter à controverse cette conception préétablie des rapports entre les deux sexes, toutefois l'incessant déroulement de l'Histoire étayait sa conviction. Le Vicomte de Bragelonne, Le Dernier des Mohicans, Le Chevalier à la charrette, la littérature s'emplissaient d'une pléthore d'exemples éloquents pour appuyer ses dires. D'autant plus qu'elle ne pourrait se dresser contre ses visions, souhaitant elle-même accéder à son patrimoine économique.
VOUS LISEZ
Élinor
Ficción históricaProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...