Depuis leur dernière et vive altercation, Élinor n'avait plus souhaité adresser la parole à Aron Ashford, sa fierté lésée. Embarrassée par le poids de l'humiliation suscitée par les audacieuses esquisses qu'il dessinait d'elle dans ses pensées, elle se trouvait embrasée d'un rougissement si intense qu'il lui devenait impossible de croiser son regard sans que son teint vire écarlate. Dès lors que la jeune fille eut connaissance des activités auxquels les humains se livraient dans les maisons de plaisir, des scènes qu'elle aurait aimé ne jamais pouvoir se représenter se jouaient dans son esprit et de savoir que ce débauché pouvait lui accoler ces obscènes flétrissures la répugnait. Impuissante à les refréner, elle se retrouvait désemparée quant à la manière de les juguler, n'ayant pour option que d'éluder les idées licencieuses de cet odieux personnage.
Naturellement, elle le croisait lors d'occasions, mais se faisait violence pour l'éviter ce qui donnait des scènes ridicules où elle détournait les yeux, abordant une moue dédaigneuse avec ses lèvres pincées à chaque convergence fortuite de leurs regards. Son comportement puéril lui valut bien des railleries de la part de ses sœurs mais elle ne pouvait se résoudre à leur avouer les raisons de son attitude, sous peine de mourir de honte.
La situation amusait Aron qui jouait d'indifférence tandis qu'Élinor, elle, se trouvait grandement désappointée de ne plus avoir d'interlocuteur avec lequel disserter des étrangetés qui peuplaient le monde qui les enveloppait, comme des Hommes qui l'habitaient. Les échanges avec ses sœurs ou son amie Mademoiselle Polignac n'arrivaient guère à satisfaire ses aspirations, et elle devait avouer avoir peiné à le reconnaître, tout en veillant à ne pas raviver les braises de sa colère. Assurément, les débats et les rires accompagnaient leurs réunions, cependant aucune d'entre elles n'était pourvue de cette étincelle d'humour mordant ni de ce talent pour la formule. Esther et Evalyn avaient indubitablement vu juste, chaque facette de sa personnalité trouvait en lui un écho fidèle, ce qui apportait un contentement incontestable en ce qui concernait ses vertus, tout autant qu'une exaspération notoire au vu de ses défauts.
Par chance, elle n'avait l'opportunité de réfléchir à de telles futilités que lors d'évènements encore plus insubstantiels. Le reste de ses journées s'orchestraient par des prises de décisions solennelles, des réunions de haut rang et des négociations de conséquence. Monsieur Ausbourg, naguère un émissaire émérite, n'était que l'ombre de lui-même et laissait à présent le soin à sa fille d'exprimer sa parole en son nom. Les moments où il parvenait à rassembler les dernières énergies qui lui restaient pour s'affirmer étaient rares, surgissant uniquement lorsque l'un de ses subalternes osait remettre en question la légitimité de la jeune demoiselle. En de telles circonstances, il déployait une autorité teintée de menace, la plus imposante qu'il lui était encore possible d'incarner.
Élinor s'inquiétait quant à tous ces renards qui rôdaient autour de son père, tournoyant autour de lui comme des charlatans en quête de gains, tirant profit de sa fragilité pour tenter de lui arracher promotions et gratifications, ou pour lui murmurer à l'oreille les noms de prétendants potentiels à son poste. Elle réussissait pour l'heure à les chasser diligemment mais ils revenaient toujours à la charge, tels des charognards. Par maints efforts pour les réprimander avec une bienveillance inflexible, sans qu'aucun fruit ne résultât de la démarche, elle s'était résolue à employer les menaces en haussant la voix, et curieusement, cette approche se montra d'une efficacité notable. À ses dépens, elle acquit l'amère leçon que l'utilisation d'une diplomatie retentissante fut une voie préférable pour s'assurer du respect qu'elle méritait.
Désormais, la jeune demoiselle avait fait le choix de s'établir définitivement avec son père et Evalyn à Paris. Leur résidence s'élevait au cœur de la métropole, dans un somptueux appartement, niché au sein du prestigieux quartier de l'Opéra. Même lorsque le moment béni du repos hebdomadaire se profilait à l'horizon, il s'avérait pour elle une entreprise des plus ardues que de regagner les contrées de Provins. Les tourments de son occupation laborieuse emplissaient son esprit, reléguant ainsi les considérations de retour au sein de sa cité natale au second plan, comme un songe lointain.
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Élinor
Historical FictionProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...