Chapitre 57

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Élinor ne savait quoi penser des reproches de sa benjamine si ce n'était s'en indigner. L'innocente candeur de cette dernière, si proche de la niaiserie, suscitait en elle une irritation manifeste. Elle ne pouvait concevoir qu'un individu puisse aspirer à autre chose que sa seule compagnie. Aron Ashford n'était point un insensé, mais bien un habile opportuniste. Certainement, il attendait des profits substantiels de cette union, et Élinor, avec une prudence judicieuse, redoutait de découvrir les trames cachées derrière l'arrangement matrimonial. Peut-être ne solliciterait-il d'elle que l'éthique d'une courtisane, et en raison de son inexpérience en de telles matières, elle ne pouvait se risquer à y réfléchir sans que ses joues ne s'empourprent d'embarras.

Il la fit languir une semaine entière après ce bal pour fêter la nouvelle année, période durant laquelle elle ne connut aucun répit dans son agitation. Elle errait sans relâche dans son appartement, en proie à d'incessantes méditations, tentant en vain de faire le point sur ses finances. Les visages de ses clients affluant à sa porte étaient reçus debout, car elle se refusait à céder à la tension et aux nerfs qui la tenaillaient lorsqu'elle prenait un temps pour s'asseoir. Chaque seconde supplémentaire écoulée sans nouvelles la plongeait dans une angoisse croissante, craignant que l'homme ne l'eût abusée et qu'elle ne fût bientôt contrainte de s'humilier publiquement devant la haute société parisienne, après s'être vantée d'un mensonge ce qui la conduirait inéluctablement bannie moralement de la capitale et de son microcosme social.

Enfin, alors qu'elle avait vu s'évanouir tout espoir, Aron se présenta un soir à sa porte, vêtu de sa plus élégante parure noire en soie, et s'agenouilla devant elle pour lui offrir une bague de fiançailles. Un diamant, d'une taille si prodigieuse qu'elle en ressentit une certaine gêne à l'idée de l'arborer, de peur que cela ne lui attire la réputation d'une femme vulgaire, ou que son nom ne soit murmuré en écho à celui d'une reine de France, des décennies auparavant, sous le titre peu enviable de Madame Déficit.

Son fiancé, détenteur de tous les attributs dont toute dame rêvait pour un ménage, que ce fût en termes de richesse physique, financière, ou intellectuelle, elle ne suscita guère de critiques à l'exception de quelques mégères jalouses et aigries, celles-ci ne pouvant requérir qu'aux murmures acrimonieux, ne trouvant en fin de compte que prétexte à se lamenter sur leur propre infortune, n'ayant point eu la possibilité d'échanger leur jeunesse pour conclure un contrat aussi avantageux.

Bientôt, leur mariage à venir devint le sujet le plus discuté des salons mondains. Les débats allaient bon train, chacun y allant de ses observations et de son petit commentaire. Même les réservés ne pouvaient réprimer en leur for intérieur le désir secret d'obtenir une précieuse invitation aux fastueuses réjouissances qui seraient forcément grandioses. Aron ne souhaitant en aucun cas refuser à sa promise l'exubérance, qu'elle ait la possibilité d'envoyer au diable tous ceux qui essaierait vainement de la critiquer ou de l'outrager, comme elle en avait toujours rêvé. L'ironie de la situation était saisissante, la seule personne à qui elle eut un jour souhaité telle chose étant Monsieur Ashford, celui-là même qui désormais la couvrait d'or.

Il accédait à chacun de ses caprices, ne rechignait jamais à apparaître à son bras ou à l'accompagner volontiers lors des danses. Élinor qui s'attendait à être accueillie par sa froideur en rétribution du comportement odieux et presque cruel qu'elle lui avait infligé par le passé, fut grandement surprise de le découvrir entièrement dévoué, ardemment soucieux de satisfaire ses plus infimes désirs.

Aron Ashford ne rechigna en aucune manière à la dépense, alla jusqu'à s'entêter à prendre en charge lui-même de garnir le trousseau de la jeune demoiselle, malgré ses réserves, et ce, sans la moindre trace d'ostentation avec une discrétion exemplaire.

Convaincue qu'il s'efforçait de lui extorquer quelque concession, elle se voyait pourtant bien ennuyée de lui dérober sa jeunesse au moment de leurs noces, à la lumière de tous les efforts qu'il produisait pour la satisfaire. Mais curieusement, à mesure qu'elle découvrait la passion dévorante qu'il lui portait, elle craignait moins l'idée de partager ses draps. Un homme à ce point couru par ses anciennes soupirantes ne pouvait être mauvais amant et celles qui, délaissées, se dérobaient dans l'âcre amertume n'étaient en réalité que des âmes déçues, cherchant refuge dans les méandres du ressentiment.

En ce qui concernait sa fidélité, elle appréhendait qu'elle ne saurait l'exiger indéfiniment, si elle-même ne s'acquittait pas de son devoir, alors que son époux accomplissait le sien au-delà de toute espérance. Afin de préserver les convenances, elle lui exprima simplement le souhait qu'il fût discret, si toutefois il se trouvait incapable de maîtriser ses ardeurs avant leur lune de miel. Lorsque Élinor en fit la requête, il se prit à rire, étonné de la voir si préoccupée par un détail auquel il n'aurait jamais songé et avec quelle nonchalance elle abordait le sujet de leur future vie conjugale, puis lui promit qu'il saurait se maîtriser pour la promesse de ses beaux yeux et lui demanda d'en faire de même. Son sarcasme lui arracha un sourire, qui transcenda le geste subtil de son roulement d'yeux.

Lorsque la nouvelle parvint au jeune Victor, une inquiétude saisit son esprit accompagné d'un frisson qui lui parcourut l'échine et le questionna quant à la stabilité de sa position, peut-être hanté par la terreur de retourner aux côtés des sœurs de l'orphelinat. Élinor, soucieuse de le rassurer lui affirma qu'il n'était pas une vulgaire marchandise, et que jamais il ne serait répudié. Ses tentatives pour l'apaiser en usant de convictions sentimentales ne rencontraient aucun succès dans le regard du petit, elle prit la décision ferme de saisir ses frêles épaules et s'abaissa pour se mettre à sa hauteur et marquer la solennité de l'instant. Alors, face à face, elle lui expliqua, de manière directe, les intrications administratives de la situation. Elle lui fit savoir qu'elle l'avait adopté en l'honneur de sa mère, souhaitant qu'il soit avant tout considéré comme son cadet, bien plus que comme son fils et qu'il ne ferait jamais l'objet d'une adoption par Aron, et par conséquent, ne se verrait en aucun cas privé de ce que cela impliquait. Elle ajouta que si d'aventure elle donnait naissance à un enfant, ce dernier ne porterait pas le nom Ausbourg et ne serait point l'héritier des richesses de ses entreprises, mais celui des biens paternels de son futur mari.

Le garçon, désormais rassuré, partagea avec elle sa mélancolie à l'égard de son retour à la vie champêtre, une perspective de plus en plus éloignée, voire incertaine, pour un avenir proche.

Élinor, comme lui, prit conscience de cette réalité à ses dépens.

Ainsi, avant que tout ne se figeât irrévocablement et qu'elle s'engageât sur la voie fastidieuse de la préparation interminable de son mariage, elle se rendit auprès d'Aron pleine d'humilité et l'implora qu'il consentît à un court séjour à Provins, délaissant sa fierté tant la situation lui apparaissait urgente.

Sa réponse fut brève, il ne pouvait rien lui refuser.

ÉlinorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant