Deux semaines et quelques jours après son entame, la robe parut accomplie, étalant ses charmes dans toute leur splendeur. Élinor ne tara pas d'éloges sur la besogne de ses domestiques dévouées qui s'étaient épuisés à la tâche pour finir leur labeur en un temps record. Ne pouvant décemment pas les rétribuer à la hauteur du travail fourni, elle leur promit néanmoins de se montrer redevable à un moment plus favorable ou bien de soutenir leurs candidatures si elles venaient à vouloir se faire recruter dans une maison de couture. Les jumelles, acceptant avec grâce sa reconnaissance, exposèrent toutefois leur inclination à différer toute manifestation matérielle de gratitude. Convaincues de la loyauté et de la promesse d'honneur émanant d'Élinor, elles choisirent de s'en remettre à sa parole pour honorer leurs services. Et voilà que la jeune femme s'acquittait d'une nouvelle dette... Enfin, si son plan fonctionnait, elle n'aurait bientôt plus à repousser les échéances de ses paiements.
La robe se trouvait être un ouvrage entièrement façonné dans un damas d'un rouge bourgogne profond, telle une teinte de vin noble et riche, provenant d'anciens rideaux qui prenaient la poussière au grenier. La silhouette se déployait avec grâce, une jupe complexe constituée de plusieurs niveaux de volants, telles les vagues d'un océan opulent sublimé par la crinoline cage en dessous. Les ultimes vestiges de ce tissu avaient été honorés, transformés en détails raffinés tels que les falbalas qui ourlaient le bas. Le corsage ajusté avec minutie pour mettre en avant les lignes gracieuses de sa taille de guêpe. Les manches, délicatement ajourées, descendaient telle une pluie d'ornements jusqu'à ses genoux, offrant un aperçu fugace de la peau sous-jacente, un équilibre subtil entre la révélation et la retenue. Les dentelles aux fuseaux récupérées sur d'anciens châles, ciselées avec une patience artisanale, ornaient chaque détail, tissant une symphonie de motifs complexes et enchevêtrés., comme le jabot à son cou, mêlé de pans de mousseline blanche vaporeuse.
— Que vous êtes belle, mademoiselle, s'exclamèrent les jumelles en contemplant leur maîtresse sous toutes les coutures tandis qu'elle faisait tournoyer ses jupons.
— Je reconnais l'évidence, cependant, grâce à votre art magistral, je suis désormais parée de magnificence, déclara Élinor d'une voix teintée de fierté et d'une aisance charmante.
— Pour quelle occasion particulière aviez-vous besoin d'une nouvelle robe, aucune commande ne fut réalisée pour vos précédents bals, interrogea Éloïse d'un ton délicat, exprimant sa curiosité naturelle.
— Je dois rencontrer quelqu'un d'important, répondit-elle promptement.
— Un prétendant, s'enquit Rose, les étincelles de l'espièglerie dans les yeux, tandis qu'elle dévoilait sa perspicacité aiguisée.
— Il se pourrait bien, concéda la jeune femme d'un sourire en coin, préférant garder ses intentions voilées, au cas où son entreprise serait vouée à l'échec. Veuillez me promettre de ne pas glisser un seul mot de ce litige à mes sœurs lorsqu'elles reviendront du concerto d'Evalyn. Je risque de rentrer tard ce soir, dîtes leur que j'ai été conviée à un dîner d'affaires.
Les jumelles acquiescèrent en cœur avant de suivre Élinor jusqu'au seuil de la porte du grand appartement. Étant donné la proximité de la résidence d'Aron Ashford, elle décida de parcourir la distance à pied. En réalité, une conjonction de raisons l'animait, notamment l'indisponibilité financière pour réquisitionner une voiture attelée. Néanmoins, ces considérations matérielles se perdaient face au bienfait d'une marche salutaire, faisant jaillir l'évidence que la métropole métamorphosée depuis quelques années pouvait être saluée.
Il était toujours agréable et impressionnant de constater à quel point la capitale réussissait à se transformer en si peu de temps. Elle pensa à féliciter Monsieur Haussman à l'occasion pour son projet d'urbanisme. Les ruelles sinueuses et étroites laissaient place aux avenues majestueuses, les façades adoptaient un style architectonique homogène, arborant avec faste les attributs d'une pierre de taille soignée, de balcons en fer forgé et d'ornements en moulure délicate, tandis que les boulevards s'étendaient en rubans harmonieux, ornés de vues urbaines grandioses. Les entreprises auxquelles les Hommes s'adonnaient pour inscrire leurs noms dans les annales de l'histoire et parer l'empire de gloire, la France s'efforçait de les embrasser pour assurer son rayonnement pendant de nombreuses années à venir, ainsi du moins en était-elle convaincue.
Sept jours qui s'écoulèrent avant qu'elle ne réponde favorablement à la missive d'Aron Ashford, et encore sept autres jours avant qu'elle ne daignât se rendre à la rencontre prévue. Fort heureusement sa patience fusse légendaire car assurément, n'importe quel partenaire commercial lambda aurait coupé court à toute négociation. De cela, il y avait de l'espoir quant à son entreprise. Elle eut pu avoir de la pitié pour lui, si seulement il ne daignait pas investir une part si considérable de son temps à de subtils badinages chaque fois que leurs chemins se croisaient, du moins, c'est ce dont elle se persuadait avec un entêtement singulier.
Lorsqu'elle parvint à l'adresse indiquée dans l'illustre avenue des Champs Élysées, Élinor fut saisie par l'émerveillement à la vue de ce grandiose hôtel particulier qui s'élevait avec une majesté éloquente, rappelant avec une grâce indéniable l'élégance du raffinement architectural italien. Se pouvait-il que cette noble résidence fût la sienne ? Était-il possible qu'il fût investi d'une telle fortune ? Un subtil grincement de dents accompagna son envie sourde, tel un soupir mélancolique né de sa propre convoitise. Si ses ressources ne s'étendaient pas jusqu'à l'acquisition d'un tel édifice, il demeurait incontestable qu'il maîtrisait l'art de cultiver les amitiés des plus favorables. Après tout, les bons comptes faisaient les bons amis. Cependant, il eût été déplacé et hautain de remettre en question une telle philosophie, surtout lorsqu'elle-même ne dédaignerait pas de la mettre en pratique, si d'aventure la providence lui en donnait l'occasion.
— Mademoiselle Ausbourg, je vous souhaite la bienvenue à l'Hôtel de la Païva, l'interrompit dans sa contemplation un majordome, se dirigeant avec toute la dignité requise à sa rencontre.
— Je vous remercie. De la Païva, dites-vous ?
— Cet établissement est la propriété d'Esther Lachmann.
Ce nom n'évoqua rien de bien précis dans l'esprit de la jeune femme, hormis la renseigner sur le fait que cette mystérieuse dame était de confession juive. Une telle consonance ne laissait guère place à l'hésitation.
— Vous lui ferez part de mes compliments, son hôtel est magnifique. La Païva, est-ce son surnom ? Est-elle issue de la noblesse, s'enquit-elle, intriguée.
— Et bien... Vous devriez demander à Monsieur Ashford, il connait Madame sans doute mieux que moi, affirma-t-il avec une note de mystère.
La jeune femme crut voir un sourire fugace étirer les lèvres du majordome avant qu'il ne reprenne son impassibilité d'antan. Elle n'accorda point d'attention à cette subtile révélation, poursuivant docilement sa marche à ses côtés à travers le jardin. Après tout, la réponse laissée présager qu'il ne se dévoilerait pas davantage. Si la vérité se parait des atours de l'évidence, il devait inévitablement la tenir pour une créature dépourvue de discernement, dérogeant à la connaissance de cette notabilité parisienne. Il devenait impérieux qu'elle réintègre le cercle du monde et ne pas demeurer étrangère à ces figures influentes.
VOUS LISEZ
Élinor
Historical FictionProvins, 1850. Héritière d'une puissante famille bancaire parisienne, Élinor Ausbourg se délecte de la quiétude de sa campagne natale, loin des agitations tumultueuses de la Ville Lumière. Telle une âme solitaire, elle trouve refuge dans la nature e...