Partie 2

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Ysaé


Je n'avais pas pu trouver le sommeil. Contrairement à mes compagnons que le découragement combiné à des jours de brimades avaient facilement terrassés. Les couinements horripilant des rats qui nous disputaient l'espace de l'enclos avait plus d'une fois faillit me faire perdre le peu de raison qu'il me restait. Depuis que les chasseurs d'esclaves m'avaient enlevée, je n'avais pas cessé de compter les jours. Plus de deux cent jours j'en étais certaine. Plus de deux cent longs levés et couchés de soleil à être enchaînée, battue et humiliée. Plus de deux cent jours à sillonner la grande mer, à parcourir des kilomètres, à traverser des villes et des bourgades. Plus de deux cent jours à être aux aguets, à regarder la peur devenir ma meilleure amie et à exploser en un million de morceaux lorsque l'un des miens, sous mes yeux, était exécuté pour rébellion.

Les cloches au loin sonnèrent, me ramenant brutalement dans le présent. Blottis dans les bras de Maé, j'ouvris les yeux en sursautant. Je ne m'étais même pas rendu compte du moment où je m'étais assoupie. Un nœud d'angoisse au fond des entrailles, je me redressai et approchai fébrilement des planches de la palissade pour jeter un coup d'œil entre elles. Malgré l'heure matinale, une troupe nombreuse s'était déjà formée sur la grande place du marché de Palanque. Ce qui ne pouvait signifier qu'une chose. Que la vente allait bientôt commencer. Une vague de panique m'envahissant je voulu déglutir, mais la boule qui se forma dans ma gorge m'en empêcha. Mon frère, que le mystère de la fraternité reliait à moi si bien que je n'avais jamais eu besoin de parler pour qu'il sache ce que j'éprouvais, me rejoignit en clopinant.

Me prenant dans ses bras, il me chuchota dans l'oreille.

-Calme-toi Zaé. On fait comme on a dit. Si c'est moi qu'on vend en premier, apprend le nom de mon acheteur. Je ferais la même chose pour toi. Comme ça un jour on saura où chercher pour se retrouver.

Ses paroles ne calmèrent pas mon inquiétude. Car pour avoir assister à des ventes précédentes, je savais précisément ce qui allait se passer. Avant que notre immonde convoi n'arrive jusqu'à Palanques, d'autres esclaves, entassés dans des chariots telles des sardines au fond d'un filet, avaient été vendus comme de vulgaires marchandises. Jamais je n'oublierais le déchirement de la séparation et les hurlements de détresse qui s'en étaient suivi. Jamais.

Au point où j'en étais, le seul espoir que je pouvais encore me permettre fut de croire qu'un riche marchand nous achètent tous les deux. Ce qui je le savais au fond de moi tenait du miracle.

En voyant la vive effervescence s'emparer des acheteurs qui trépignaient sur la place du marché, je tremblai comme jamais je n'avais tremblé de toute ma vie. Être jeté aux requins comme certains de mes semblables me sembla être un sort plus enviable à celui qui m'attendait. Terrifiée, je forçai mon esprit à se rappeler de tous les endroits que nous avions traversés pour le jour où nous ferions le chemin inverse. A ce moment là, comme l'idiote que j'étais, je croyais naïvement que Maé et moi retournerions chez nous. Mais malgré tous mes efforts et la fureur avec laquelle je forçai mon esprit, tout ce dont je parvins à me souvenir, fut des chaînes sciant mes poignets, des nuits froides et humides glaçant mes os et  la puanteur, qui me faisait vomir la nourriture que les chasseurs nous balançaient à travers les barreaux de la cage. 

Soudain la porte de l'enclos s'ouvrit. Deux chasseurs y pénétrèrent, nous hurlant de nous mettre debout. Le premier nous tenait en joue avec son fusil tandis que le second rassemblait ceux qui partiraient pour la vente. Voyant que nous allions être séparés, Maé, se plaça entre le chasseur et moi.

-Pitié! Supplia t-il.

-Écarte toi! aboya le chasseur.

-S'il vous plaît emmenez nous tous les deux!

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant