Chapitre 88

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Salvor


Le paysage se figea lorsque mon ordre éclata.

Exactement comme l'aurait été la scène d'un tableau.

-Où étais tu, harangua mon père, tandis que je descendais précipitamment de ma monture.

-A Charreton. Que se passe t-il. Pourquoi Yakob est attaché au poteau?

-Que se passe t-il? Pendant que tu batifolais à Charreton, s'agaça t-il, le Capitaine Hardy a été sauvagement assassiné. Yakob s'accuse du crime alors que les hommes accusent Shakur qui par dessus le marché s'est enfuit!

Habitué à cacher mes émotions, je réussis à garder un visage impassible. Mais la nouvelle du retour de Shakur et de sa «fuite» avait déclenché l'alarme dans mon esprit. 

Seul le léger frémissement de ma main gauche où se trouvait la chevalière ornée du blason des De brym, trahissait l'émoi intérieur qui m'agitait.

Shakur n'était pas sensé être de retour avant deux semaines. Je n'arrivais pas à croire ce que mon père racontait.

-Shakur s'est enfuit?! Demandai je incrédule.

-Oui! Reynolds m'a dit que tu l'avais envoyé à Loupé. Ignorais tu son retour?

-Je l'ignorais. Il a du revenir alors que je partais pour Charreton.

-Quoi qu'il en soit quelque chose s'est passé à ce moment là entre le Capitaine et lui!

-Shakur a rien à voir la d'dans. S'agita soudainement Yakob. C'est moi qu'ai tué le Cap'taine!

-Et pour quelle raison? Demanda mon père de plus en plus énervé.

-Parce que je supportais plus que ce salopard lève la main sur moi. Cracha Yakob.

-Si c'est toi qui a tué le Capitaine comme tu le dis, interrogea Waters, le Supérieur qui avait fouetté Yakob. Pourquoi Shakur s'enfuyait il comme un voleur dans les bois?

Prit au dépourvu, Yakob resta sans voix. 

M'arrachant péniblement de sa contemplation, je tournai le regard vers Ysaé. En voyant sa lèvre gonflée, sa tunique couverte de terre, du sang coulant de sa tempe à son cou et ses cheveux en bataille, quelque chose me prit à la gorge. Sa vulnérabilité éveillant mes instincts les plus primaires, un élan protecteur me submergea, je n'eus qu'une envie, la soustraire de cette horrible situation.

Que s'était il passé pour qu'elle soit là et qui plus est dans cet état?

Pourquoi était elle à coté de Yakob comme si elle aussi allait avoir droit à un châtiment?

Qu'avait elle donc avoir dans toute cette histoire?

Devais je interroger mon père à son sujet?

Au risque de la compromettre plus qu'elle ne semblait déjà l'être?

Sous la pression de toutes ces interrogations, j'eus l'impression que mon cœur avait cessé de battre. Et alors que je restais figé là et que le regard d'Ysaé remplit de larmes s'accrochait désespérément au mien et que surprit, j'y lus la culpabilité, le remord et la désolation qui s'y reflétaient...

Le monstre en moi rugit et lacéra violemment mon cœur dans ma poitrine. Ça me fit mal. Atrocement mal.

La dernière fois que nous nous étions fixés ainsi dans les yeux, mon membre était profondément enfouit en elle et nos âmes avaient fusionnés. Maintenant nous nous trouvions là à nous regarder comme deux....étrangers.

Qu'avait elle fait? Elle semblait se reprocher quelque chose, je le voyais bien. 

Comme piqué par un serpent, je devins pâle et une veine se mit à battre furieusement contre ma tempe.

J'étais entrain de comprendre.

Tout s'éclaircissait.

Son air coupable, plein de regret et de remord alors qu'elle me regardait la mettait à nue. 

Le retour inopiné de Shakur n'était pas si inopiné que ça.

Elle était au courant!

Cela faisait probablement parti d'un complot qu'ils avaient sans doute fomentés tous les deux dans mon dos.

Elle m'a donc trahit!

Peut-être même que Shakur n'était jamais partit pour Loupé, qui sait.

Peut-être qu'il s'était planqué quelque part à attendre patiemment le moment favorable pour venir la chercher.

Voilà la vérité!

Et elle avait acceptée de marronner avec lui. De son plein gré.

Voilà l'autre...insupportable vérité!

Alors tout ce qu'on a partagé ces dernières semaines n'était que du v...

Par le plus hasardeux des hasards, le Capitaine avait du découvrir leur horrible forfaiture. Shakur se sentant obligé de le réduire au silence l'avait tué, c'était bien son style, tiens. Et pour essayer de sauver son fils des pires châtiments, Yakob s'accusait maintenant du crime, ça c'était digne de lui.

Cela ne faisait plus aucun doute dans mon esprit. C'était exactement ainsi que les choses s'étaient déroulées. La tempête de désespoir qui tournoyait dans les iris sombre d'Ysaé m'en apportait la preuve.

Ysaé avait voulu s'enfuir. Pour me fuir, moi.

Tout dans son attitude, les larmes dans ses yeux, ses lèvres tremblantes alors qu'elle me regardait, le prouvait. Je la connaissais tellement mieux qu'elle ne le pensait. Et en ce moment même elle était en proie à une terrible culpabilité. 

Je reçu l'équivalent d'un coup de pied dans le ventre et le monde entier se mit à tournoyer à mesure que cette évidence s'infiltrait à travers le mugissement du sang qui déferlait dans mes veines.

Une immense rancœur et une fureur comme je n'en avais rarement éprouvé pour quiconque au monde, surgirent en moi. Je tremblais de rage, de rage envers elle, cette esclave qui m'avait fait l'aimer au-delà de toutes raisons.

Mais alors pourquoi se trouve t-elle encore ici, demanda le monstre. Pourquoi ne s'est elle pas enfuit avec Shakur?

Mystère. Que je comptais bien résoudre, une fois que je lui aurais mis la main dessus!

Ne lui fais pas de mal, hurla une voix au fond de moi.

Elle avait ce pouvoir, celui de tranquilliser ou d'agiter le petit garçon peureux. Elle possédait ce don unique de le calmer comme ses derniers jours ou de le faire surgir comme en ce moment précis. Elle m'avait trahit, putain! Et ce connard de petit garçon s'en faisait pour elle?! 

La colère s'infiltrant dans chacune mes cellules, je craignis un instant de ne pas réussir à la canaliser.

Comment avais je pu me faire berner à ce point?

Comment un visage à la beauté extrême, des pupilles abyssales, un corps à se damner et une chevelure de lionne, avaient pu m'aveugler, si facilement?

Elle n'avait jamais rien eut à faire de moi.

Tout ce qui comptait c'était Shakur, avec qui elle voulait s'enfuir. Elle avait simplement jouée une comédie destiner à déjouer ma vigilance.

Et comme un idiot je m'étais laissé prendre à son piège.

Je m'étais...

Bordel!

Je m'étais convaincu que je l'aimais!

J'étais même sur le point...

Bordel!

J'étais même sur le point de le lui avouer!

Mon cœur se serrant de plus en plus, j'enlevai mon regard sur la traîtresse, la menteuse, la sournoise, avant de sombrer dans une fureur dévastatrice, devant tout le monde. 

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant