Chapitre 112

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Ysaé

Après m'être occupé de ma maîtresse, la grosse Betsy me demanda d'aller récolter des légumes dans la serre. À bout de nerfs et courbaturée par le manque de sommeil, je ne m'étais pas fait prier. M'occuper les mains, mais surtout l'esprit, serait libérateur. Mon cerveau fumait, tant Salvor tournait en rond dans mon crane. Agenouillée dans le potager, je soupirai en cueillant quelques carottes, des radis, des petit-pois, des poivrons, plusieurs spécimens de piments, d'oignons, de cives et de persil, que je déposais dans mon panier au fur et à mesure de la cueillette. J'étais concentré sur l'arrachage d'une botte d'herbe aromatique, lorsque l'image de Salvor s'immisça subrepticement dans mes pensées. 

De temps à autre, au cours des deux années écoulées, une lettre relatant ses activités à Palanques parvenait à Mlle. C'était uniquement par ce biais que me parvenait des échos de lui. Ma maîtresse tout en joie, partageait alors avec moi dans un moment solennel, les quelques nouvelles que son frère adoré daignait coucher sur le papier. 

Avare de détails sur sa vie en ville, il se contentait simplement de donner des informations sur son état de santé et rassurait Mlle quant au fait qu'à son retour, il la couvrirait de cadeaux pour compenser son absence prolongée. Il n'abordait dans ses lettres aucun autre sujet que ces deux-là. Lorsque Mlle lui écrivait et qu'elle ne manquait pas de lui poser des questions sur les autres aspects de son quotidien, elle n'obtenait en retour que des réponses évasives sur ce qu'il faisait. 

Persuader que son frère lui cachait ses malheurs pour ne pas la faire souffrir, Mlle transférait sur moi ses angoisses en me posant toutes sortes de questions auxquelles j'étais incapable d'apporter des réponses.

Mais qu'en est-il de sa vie privée? Me demandait elle en me regardant dans les yeux.

J'ai peur qu'il se sente seul! A t-il des amis avec qui partager son temps libre? Peut-être a t-il rencontré une douce demoiselle qui l'a rendu si follement amoureux qu'il m'a oublié?

À la simple pensée que Salvor ait rencontrer une douce demoiselle dont il serait follement amoureux, mon ventre se contractait de spasmes violents. Je n'étais pas dupe. Je savais bien que parmi la horde de jeunes filles de bonne famille qui devaient lui courir après dans tout Palanques, l'une d'entre elles finirait bien par lui mettre le grappin dessus.

N'était il pas le célibataire le plus riche et le plus convoité de Palanque? Sans compter qu'il était sans contexte le plus beau.

Pendant ces deux années il était impossible qu'il soit resté seul. Combien de femmes audacieusement belles avaient partagées son lit. Combien avaient connues ses bras, sa bouche, combien avaient criées de plaisir lorsqu'elles s'étaient faites pénétrées par son...

Comprenez moi bien, je n'avais aucune prétention à l'égard de Salvor.

Comment aurais je pu?

Moi, une esclave!

Il était impossible pour ne pas dire contre nature qu'il compromette sa réputation et son avenir pour vouloir quelqu'un de ma race et de ma condition. D'autant qu'à Palanques les relations de cette nature était considérées comme des crimes punissables par la loi. Sans compter que quand bien même les choses avaient été particulièrement intenses entre nous, il ne m'avait jamais laisser entendre qu'il éprouvait pour moi autre chose que ce fichu attrait inapproprié.

J'étais lucide, croyez moi. 

Pourtant toute cette lucidité ne parvenait pas à empêcher à un déferlement de tristesse épouvantable de m'accabler à chaque fois que je songeais à lui dans les bras d'une autre femme.

Plusieurs fois j'avais tenté de comprendre cette force étrange m'avait enchaîné à lui. De comprendre pourquoi, alors même qu'il était loin, je ressentais constamment ce lien mystique qui m'attachait à lui. 

Cependant, ce qui apaisait un tant soit peu mon tourment était que Salvor n'avait jamais su ni compris ce qu'il représentait pour moi. 

C'est à dire ma plus terrible désillusion et je ne l'avouerais qu'à vous seuls, l'amour de ma vie.

En attendant le jour bénit où il rentrerait enfin, Mlle avait prié tous les soirs, pendant sept cent trente jours, sans exception, suppliant le Seigneur et tous les Saints du Paradis, de protéger son grand frère chéri et de le ramener sain et sauf à la maison. 

Et le Seigneur et tous les Saints du Paradis réunis, sans égard pour moi, avaient exaucés sa prière!

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant