Partie 3

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Ysaé


Je reviens à moi toujours coincée entre les caisses et les bagages. Le Capitaine Hardy debout à l'avant du chariot garé près d'une grange dont les portes étaient grandes ouvertes, parlait avec un jeune esclave qui portait des habits de qualité hautement supérieure que tout ce que les autres esclaves portaient habituellement.

La survie chevillé au corps, je tentai de tromper la vigilance de mon ravisseur, mais Yakob devinant mon intention se dépêcha de venir vers moi.

-Fais pas ça petite, tu veux mourir ou quoi! Chuchota-il.

Il me souleva pour m'aider à descendre du chariot. La panique me fit me cramponner à lui si fort qu'il fut incapable de me poser à terre.

-Lâche moi, tu m'étrangles!

Je resserrai mon étreinte et il eut toute les peines du monde à détacher mes bras autour de son cou. A peine avait-il réussit à le faire que je me dépêchais de le ceinturer en me réfugiant dans son dos.

-Shakur, l'entendis-je appeler en soupirant. Emmène la pour Ma. Ensuite tu t'occuperas des chevaux.

-Oui Pa!

Yakob dénouant mes mains autour de ses reins, me poussa doucement vers le jeune esclave qui s'entretenait avec le Capitaine Hardy, celui qui était bien habillé.

-Va avec Shakur, me dit-il.

Je poussai un soupir tremblant, mais retins mes larmes.

J'avais assez pleuré. Pleurer ne servait à rien.

-Viens, dit Shakur de sa voix grave. N'aie pas peur. J' t'emmène voir Ma, elle prendra soin d' toi.

Ne cherchant plus à me battre, je suivis docilement Shakur tout en réajustant ma couverture qui dans ma piètre tentative d'évasion avait dangereusement glissé de mon corps. Au détour de la grange, je fus happée par l'immensité de la maison qui se dressait tout à coup devant moi. Peinte en blanc, elle avait le toit recouvert de tuiles brun orangé. Un large porche encadrait toute sa longueur et d'immenses colonnes encerclées de chèvrefeuilles grimpantes dont le parfum embaumait l'air se dressaient de chaque côté des majestueuses marches du perron. Il n'existait aucune construction semblable sur mon île. Chez moi, dans l'archipel des Terres chaudes, nos habitations étaient beaucoup plus modestes. Nos hommes les construisaient avec des portes et des fenêtres de bois coulissantes, le tout planté dans un écrin de verdure.

Shakur délaissa les magnifiques marches blanches du perron pour contourner l'immense maison jusqu'à l'arrière. Grimpant une volée d'escaliers en bois, il entra par une porte ouverte, m'entraînant à sa suite, jusqu'à une dépendance.

-Ma, appela t-il.

-J'suis dans la cuisine lança une voix féminine.

Sur les talons de Shakur, je pénétrai à mon tour dans une large pièce où trônait une immense table sur laquelle était disposé une quantité non négligeable de victuailles. Plusieurs casseroles mijotaient doucement sur le fourneau. Un haut-le-cœur me saisis en prenant l'odeur de toute cette nourriture

-Pa dit que le cap'taine Hardy t'envoie cette fille, commença Shakur. Il dit que c'est Maître De brym qui a dit de l'acheter au marché. Et que c'est pour aider Mlle Lorys parce que la vieille Nana, eh ben elle est trop vieille pour continuer à s'occuper de Mlle Lorys.

-Aussi vielle que soit cette bique de Nana, dit la femme à qui Shakur s'adressait, elle nous enterrera tous j' te le dis mon fils!

Le timbre doux de celle qui parlait apaisa instantanément le tumulte qui faisait rage en moi. Si bien que je restai estomaquée. La femme à la voix douce occupée à faire je ne savais quoi, me tournait le dos. Une épaisse natte de cheveux châtain cascadait au creux de ses reins. Sa peau avait la même teinte que celle de son fils, l'aspect du caramel clair. Vêtue avec soin d'une longue robe aux motifs variés de couleurs bleu, de grandes créoles se balançaient aux gré de ses mouvements. Lorsqu'elle se retourna, ses yeux couleur miel, autre point commun qu'elle partageait avec son rejeton, me scrutèrent avec curiosité. Un sourire franc éclaira instantanément son beau visage.

-Mais quelle magnifique petite chose tu nous as ramené là, Shakur?

Sans doute gêné par les propos pour le moins curieux de sa mère, Shakur quitta précipitamment la cuisine sans dire un mot.

-T'as perdu la tête ma parole! C'est pas une magnifique petite chose, han han! C'est rien d'autre qu'une vilaine panthère qui fichera la pagaille dans cette maison! Dit une voix sortant du fond de la pièce.

-N'écoute pas ce que dit la grosse Betsy à qui on a rien demandé, dit la maman de Shakur. Elle n'y connaît rien aux gens. Par contre pour ce qui est de l'art culinaire, y a pas meilleure cuisinière qu'elle dans tout le pays!

Leurs babillages incessant me donnaient le tournis. Comme pour justifier l'évidence du propos de la maman de Shakur, la grosse Betsy alla d'un pas déterminé vers la table qui trônait au milieu de la pièce. Tout en marmonnant que je ressemblais à une bête famélique qu'il faudrait engraisser, elle versa un breuvage fumant dans une tasse, puis revint vers moi en me la tendant avec une mine qui me dissuada de refuser. Au moment de porter la tasse à mes lèvres, je m'empêtrai avec la couverture. La chaleur qui se dégageait du breuvage devenant insupportable, ma main secouée de spasmes, renversa son contenu sur le tablier de la grosse Betsy.

-Han! Quand je disais que c'était rien d'autre qu'un foutu animal sauvage. Y a pas à gâcher un aussi bon chocolat à la cacahuète comme ça! Tonna t-elle en m'arrachant la tasse des mains.

Allait-elle me fouetter? 

Une peur funeste m'envahissant, je commençai à trembler de tout mon corps.

-Viens avec moi, dit la maman de Shakur en m'entraînant à sa suite. N'aie pas peur de la grosse Betsy. Elle aboie mais elle ne mord pas.

-T'aurais vachement tord de croire ça, Ma! En tout cas, tu ferais mieux d' lui donner dix bains avant de l'emmener voir Mam'zelle Lorys. Parce que ta magnifique petite chose là, eh bien elle pu comme une centaine de rats crevés! Brailla la grosse Betsy en plissant son nez.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant