Chapitre 106

116 8 22
                                    

Salvor


Je me réveillai agité. Mais pas à cause de mes cauchemars habituels. Les paroles de Lorys et la douleur infinie dans le regard d'Ysaé m'avaient tourmentés toute la nuit. 

Je devais en avoir le cœur net. Il était hors de question que je laisse Waters maltraiter les esclaves et de cette manière par une mauvaise gestion de la plantation, mettre en péril mon héritage. Ainsi quelques heures plus tard et après un petit déjeuner rapide, je me rendis au quartier des esclaves. 

De loin, je vis tous les asservis rassemblés dans la cour. La terreur les saisissant, aucun d'eux ne parlait. Seul le bruit de claquements résonnait.

-Dix! cria une voix d'homme.

Un autre coup de fouet, suivi d'un gémissement plaintif se fit entendre.

-Onze!

Je me frayai discrètement un chemin parmi les esclaves sans que ceux-ci s'aperçoivent de ma présence, tant ils étaient absorbés par l'odieux spectacle qui se déroulait sous leurs yeux. 

Un enfant d'une dizaine d'années tout au plus, buste nu, était attaché par les poignets à une branche de Sycomore. Le dos strié de lacérations sanglantes, ses pieds touchaient à peine le sol. Debout près de lui, Waters, le commandeur, brandissait un fouet.

-Douze!

-Cessez immédiatement! Criais je au commandeur.

Waters, bouche bée, baissa instantanément son fouet.

-Mr Salvor...Mais...Je...Enfin, je ne savais pas que vous étiez rentré.

-Qu'a fait cet enfant pour que vous le traitiez de cette façon?

-Cet esclave méritait d'être châtié, Mr Salvor. Je l'ai surpris entrain de voler des bananes que j'avais mis à mûrir. Et comme vous le savez le vol doit être sévèrement réprimé. Sinon c'est l'anarchie qui s'installe.

-Peut-être que si cet enfant mangeait à sa faim, il n'aurait pas eut la tentation de voler vos bananes. Mon père sait il que vous affamez ses gens de la sorte, Mr Waters?

-Mr votre père ne se préoccupe pas de savoir comment je dresses ses nègres, Mr Salvor. Il me fait entièrement confiance et sait que chaque punition que je donne est justifiée. C'est le seul moyen de se prémunir contre ces fauteurs de troubles de nègres. Il faut en faire des exemples pour dissuader les autres!

-Eh bien à partir de maintenant, sifflais je en avançant dangereusement face à Mr Waters. Avant de lever ne serait-ce le petit doigt sur un de mes esclaves, vous viendrez me voir. Si l'un d'eux désobéit vous m'en informerez. Et sachez Mr Waters que je ne me contenterais pas de vagues accusations. Vous ne toucherez pas à un seul de leur cheveu sans ma permission, est-ce clair?

-Euh...et bien, Mr Salvor, loin de moi l'idée de vous contredire et de vous manquer de respect, mais c'est Monsieur votre père qui m'emploie et je crois que si il était mécontent de mon travail, il aurait...

-Je suis né et j'ai grandis ici. J'ai parcouru cette plantation de long en large depuis que j'ai appris à marcher. Il ne fait aucun doute que dans à peine quelques années ce sera moi votre unique employeur. Souhaitez vous d'ors et déjà me donner une très mauvais opinion de vous, Mr Waters?

-Non, Mr Salvor. Bien sur que non. Répondit Waters, confus.

-Détachez l'enfant, m'adressais je aux deux Supérieurs qui accompagnaient le commandeur. Qu'il reste au quartier pour que l'on soigne ses blessures et mettez le reste des esclaves au travail.

-Bien Mr Salvor, répondirent ils en chœur, se dépêchant de s'affairer.

-Quant à vous, Mr Waters, il y aurait-il un endroit où nous pourrions discuter en privé?

-Suivez moi, souffla t-il en se dirigeant vers sa maison.

Je suivis le commandeur jusqu'à une clairière où se trouvait une petite habitation qui autrefois avait appartenu au feu Capitaine Hardy.

Une fois à l'intérieur, il trouva bon de souligner:

-La correction que j'ai donné à cet esclave était sans doute exagérée pour vous, Mr Salvor. Mais sachez que je suis un homme juste et loyal et que je ne punis jamais les innocents...

-Écoutez moi bien Mr Waters. Pour qu'une exploitation marche, il y a tout intérêt à limiter les pertes humaines. En moins d'un an vous avez du racheter pas moins d'une centaine d'esclaves supplémentaires pour palier aux pertes dues à vos mauvais traitements. Donc je me contrefous que vous soyez un homme juste et loyal. Vous maltraitez mes esclaves, ce qui fait perdre à ma plantation beaucoup d'argent. Lorsque j'expliquerais cela à mon père, de quel coté croyiez vous qu'il se rangera, Mr Waters?

-Je...vous m'en voyez désolé, Mr Salvor. Je vous jure que cela ne re...

-Autre chose, coupai je à deux doigts de dérailler les muscles de ma mâchoire ondulant sous la pression de mes dents. Je ne dirige pas un bordel, Mr Waters. Je vous interdit de toucher aux femmes de la plantation. Si vous et vous hommes avez des besoins à assouvir, il y a pléthore de bordels qui délimite la route jusqu'à Palanques et vous êtes suffisamment bien payé pour y dépenser votre argent, si je ne m'abuse!

-Entendu, Mr Salvor.

Soudain, je le projetai violemment contre le mur. 

Il avait suffit que mon esprit se prenne à imaginer que ce que je venais de penser pourrait être vrai, que le monstre se réveilla. Peinant à le contenir, je le laissai m'envahir. 

Sortant mon poignard de son fourreau, je le glissai prestement sous la gorge de Waters, secoué par le choc.

-Mr Salvor, que...que faites vous.....

-Je ne vous le demanderais qu'une fois et j'exige la vérité.

-Ou...oui, Mr Salvor.

-Vos prétentions envers les femmes de la plantation vous auraient elles entraînées à aller jusqu'à oser poser vos sales pattes sur la servante de ma sœur, Mr Waters?

-N..Non, non Mr Salvor. Je vous le j..jures. Je n'ai ja...mais touché à la ser...vante de votre sœur.

-Un de vos hommes l'a t-il fait?

-Non. Non plus, Mr Salvor. La servante de votre sœur reste aux abords du domaine. Il n'y a que la grosse Betsy qui descends jusqu'ici!

J'accentuai la pression de mon poignard. Juste ce qu'il fallait pour que la lame traverse la barrière de l'épiderme du commandeur. L'entaille lui arracha un cri de douleur tandis qu'une rigole de sang se formait à la surface de sa peau.

-C'est la vérité! Cria t-il, ses yeux voyageant avec terreur entre mes pupilles.

Je restai immobile quelques instants, exerçant une pression si forte qu'au premier mouvement qu'il ferait pour se débattre, il aurait la gorge tranchée.

-Le jour où je vous surprendrais à ne serait-ce que regarder dans la direction de la servante de ma sœur, je vous tuerais, Mr Waters. 

J'énonçais cela  je le plus calmement du monde, tandis que j'essuyais soigneusement le sang qui maculait la lame de mon poignard sur sa chemise.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant