Chapitre 43

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 Ysaé


A la minute où je pénétrai dans ses appartements, la mine attristée de Mlle me percuta. Relayant d'un seul coup mes soucis au second plan.

-Vous êtes malade?

-Non!

Elle enfonça son visage dans un coussin pour étouffer le cri qui s'échappa de sa gorge. Sa détresse me fendit le cœur en deux. Déposant le plateau sur le bureau, je me dirigeai vers elle.

-Chez moi, on dit que lorsqu'on partage un fardeau il devient moins lourd à porter, dis-je en m'installant sur le lit à ses cotés.

Le son de sa voix était faible, néanmoins j'entendis lorsqu'elle dit, des trémolos la secouant:

-C'est l'anniversaire de la mort de ma mère. Ça fait treize ans aujourd'hui.

Zaé, c'est ce fameux jour dont t'a parler Mr Salvor, quand il te regardait comme si il voulait te....

-Mademoiselle...

-J'avais cinq ans quand...un jour elle était là et le lendemain elle n'était plus là.

-Elle devait être aussi belle que vous, dis-je pour ramener ses pensées vers des souvenirs plus agréables.

-Les gens disent qu'elle était la femme la plus belle qu'ils aient jamais vue. Mais c'est Salvor qui lui ressemble le plus. J'ai des portraits d'elle dans mon tiroir. Tu veux les voir?

-Bien sur.

Son expression s'adoucit quand je les lui présentai et des larmes noyèrent ses yeux alors qu'elle les caressait du bout du pouce.

-C'est vrai que votre frère lui ressemble dis-je. Ils ont les mêmes yeux gris, les mêmes cheveux et la même bouche.

-Pourtant j'ai l'impression qu'il la déteste. Lâcha t-elle dépité. Il refuse de me parler d'elle.

-Elle était comment votre mère?

-Je n'ai pas beaucoup de souvenirs d'elle. Mais je me rappelle qu'elle passait des heures avec moi dans mon lit. Qu'elle me laissait porter ma robe préférée même si elle était sale, celle qui avait de la dentelles et un gros nœud rose. Elle me serrait comme un bébé et me caressait les cheveux en me lisant des histoires. Des fois j'ai l'impression de sentir encore son odeur. Elle me manque terriblement, si tu savais!

Mlle se mit à pleurer, alors je la pris dans mes bras et embrassai sa joue humide qui avait le goût du sel.

-Je sais ce que ça fait de perdre sa mère, soufflais je en pleurant moi aussi.

-Et ta mère, elle était comment, demanda t-elle en reniflant bruyamment.

-Amma était belle, forte, courageuse et Appa avait l'air de ne pas pouvoir respirer sans elle. Elle est morte en voulant me protéger des chasseurs d'esclaves. Ils l'ont tuée sous mes yeux, sans pitié, éclatais je en gros sanglots.

Je revivais ce moment affreux comme si c'était hier. Ce matin là, Amma s'était réveillée avec un mauvais pressentiment. Lorsque que Appa était partit dans la Capitale avec Maé pour vendre le fruit de notre récolte, elle les avait supplié de faire attention et de rentrer bien vite auprès d'elle. Appa nous avait serré dans ses bras plus fort qu'à l'habitude ce jour là. Nous les regardâmes, Amma et moi monter sur la charrette qui devait les emmener pour un périple de quatre jours jusqu'à Loré. J'ignorais à ce moment là que je ne reverrais jamais Appa et que le mauvais pressentiment de Amma s'avérerait être une terrible réalité. 

 Cette nuit là Amma ne dormit pas. Elle suppliait les fétiches de venir en aide à notre famille. Le lendemain je l'obligeai à se nourrir du petit pain que j'avais cuit sur les cendres mais elle refusa, décrétant qu'elle ne se nourrirait qu'une fois son mari et son fils revenus auprès d'elle. Plus tard dans la journée, des cris et des hurlements nous firent sortir précipitamment de notre case. Une vingtaine d'hommes encerclaient notre petit village. Ils portaient tous des pistolets à leurs ceintures et un long manteau en cuir couvrait leurs habits. La plupart des hommes étant partis pour Loré, les chasseurs ne trouvèrent guerre de résistance. Plusieurs vieillards de mon peuple furent abattu devant nos yeux, les jeunes gens furent ligotés et toutes les cases furent incendiées.

Amma me hurla de m'enfuir lorsque trois des chasseurs s'approchèrent de nous. Mais tétanisé par la peur, mes pieds restèrent collés sur le sol. Je vis Amma sauter sur un des chasseur et lui lacérer le visage avec ses ongles. La jetant par terre, il lui écrasa la poitrine avec sa botte. Je m'apprêtai à secourir Amma mais elle me hurla « Va t'en, pour l'amour de moi!» Je vis le chasseur pointer son arme sur elle.

 L'explosion me secoua de la tête aux pieds et je m'affaissai sur le sol en regardant le corps de Amma répandre son sang. Je hurlai à Amma de se réveiller de sa mort. Lorsqu'elle ne le fit pas, l'obscurité m'envahit. 

Je repris un état de conscience emprisonnée dans une cage installer sur la plage. Il y en avait des dizaines et des dizaines, toutes alignées, toutes remplies de captifs enchaînés par le cou. Des jours plus tard, on nous fit monter à la queue leu leu sur des petits bateaux qu'on appelaient pirogue pour nous emmener sur le gros navire qui flottait sur la mer, où on m'enferma dans la cambuse avec d'autres femmes. 

Pendant longtemps nous ne vîmes pas la lumière du soleil. Et puis un jour on nous fit sortir sur le pont du navire. Sous la surveillance d'hommes en arme on nous ordonna de danser au rythme d'un petit tambour jouer par un des chasseurs. Pour dé ankyloser nos muscles qu'ils disaient. Ils disaient aussi que c'était un moyen de nous garder en bonne santé. On faisait passer les nausées du mal de mer en respirant l'air marin. Et on nous lavait à grands coups de seau d'eau de mer. 

Une infinité de jours passa comme cela. Les femmes sortaient les premières faire leurs exercices et lorsqu'elles avaient réintégrées la cambuse, c'était autour des hommes. Les nuits pour ne pas penser à Amma je m'autorisais à me réjouir de ce que Appa et mon frère soient sauf. Mais pas trop, car je savais que la douleur pour eux serait éternelle lorsqu'en revenant au village, ils découvriraient que Amma ne s'était pas réveillée de sa mort et constateraient que j'avais disparue. Je pensai ça longtemps, des jours, des semaines. Jusqu'au jour où, en regagnant la cambuse, nous croisâmes un groupe d'homme qui allait faire leurs exercices.

Je le reconnu sur-le-champ. Il ne me vit pas car sa tête était baissée. Il avait des entailles sanglantes sur tout le corps, sans doute du aux mauvais traitements. Mon frère avait l'air si malheureux qu'on croirait que toute vie avait déserter son enveloppe charnelle. Où est Appa avais je hurlé en moi-même, la terreur nouant mes entrailles. En regardant à nouveau le visage tuméfié de mon frère, j'eus ma réponse. Je su avec certitude qu'il était arriver malheur à mon Appa. Ce jour là, pour la deuxième fois de ma vie, le chagrin avait éclaté mon cœur en morceaux.

Mademoiselle essayant de me consoler, me serrait dans ses bras en nous balançant d'avant en arrière.

-Si je pouvais, j'effacerais tout le mal qu'on t'a fait. Mais je ne peux pas. Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée, scandait t-elle sans arrêt.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant