Chapitre 101

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Ysaé


Quelque chose de sombre s'agitait dans les tréfonds de mon âme. Imprégnant chaque particule de ma conscience. Refusant de me laisser végéter dans le repos salvateur de l'oubli.

Shakur est mort Shakur est mort Shakur est mort Shakur est mort

Et il ne viendrait pas me chercher comme il me l'avait promis.

Cette certitude lancinante me martelait le crane.

J'ouvris les yeux. Les affres de la souffrance me prenant par revers me tordirent les entrailles. Ma peau s'imbiba de frissons d'angoisse.

J'essayai de calmer les battements frénétiques de mon cœur, en vain. Alors je refermai les yeux. Mais le magnifique visage de Shakur m'apparaissant je les rouvris aussitôt.

Assise sur sa chaise à coté de son lit sur lequel on m'avait allongé, Mlle Lorys me fixait.

-La grosse Betsy te demande de te rendre dans la cuisine quand tu seras revenu à toi. Je t'accompagne, dit-elle tristement en me donnant la main pour m'aider à descendre.

-Qui m'a mise dans votre lit?

-J'ai demandé à Phil...

J'entrai dans la cuisine. Mlle poussant sa chaise roulante à la force de ses bras, me précédait. Alors que j'observais le personnel de la grande maison rassemblé là, dévasté, mon cœur remonta jusqu'à ma gorge.

-Viens près de moi mon pti, dit la grosse Betsy en m'apercevant.

Mais au moment de me diriger vers elle, Mabel me barra le passage.

Quand fut la dernière fois que Mabel m'ait adressé la parole?

La dernière fois qu'elle ne m'ait regardée avec autre chose dans les yeux que le feu de la haine?

-Sale pitain, siffla t-elle. Shakur est mort à cause de toi! Tu crois que j' l' sais pas!

Une sensation de feu s'abattit violemment sur ma joue. Surprise, je ne pu que porter la main à mon visage endolorit, incrédule.

-Arrête, Mabel! Protesta Phil en se plaçant entre nous. Ysaé a rien à voir dans tout ça!

-Mais c'est qu'elle vous a tous ensorcelé, ma parole! Tout c' qui est arrivé est à cause d'elle. Réveillez vous, bordel. Hurla t-elle avant de sortir précipitamment de la pièce en pleurant.

Mabel m'avait giflée!

Je m'affaissai sur la chaise à coté de la grosse Betsy, une rage froide se répandant dans ma poitrine. On aurait dit que mon cœur allait explosé dans un million de directions.

C'est la dernière fois que Mabel lève la main sur toi, brailla ma première meilleure amie à l'intérieur de ma tête tandis que la seconde, assise près de moi me serrait la main. 

J'essayai de toutes mes forces de faire abstraction de la vague de fureur qui envahissait ma compagne de toujours car si je la laissais aller, je n'étais pas sûre que mon cœur puisse survivre à une autre déferlante.

Dans le couloir, j'aperçus les cheveux poivre et sel de Reynolds. Lorsqu'il pénétra dans la cuisine un silence de mort se fit. Il resta silencieux un bon moment et quand nos expressions abattues se reflétèrent dans ses yeux, mon cœur s'effondra.

Il raconta et je dégageai ma main de celle de Mlle pour la frotter contre ma cuisse, m'évertuant d'effacer les taches imaginaires qui s'y trouvaient contrairement à celles o combien réelles qui entacheraient à tout jamais ma conscience, qu'il avait entendu le chasseur d'esclaves dire à Mr De brym, que son acolyte et lui après des mois et des mois de recherches, avaient en premier lieu retrouver la trace de Shakur aux abords de Calas.

Qu'en interrogeant les gens du coin, un habitant leur apprit avoir aperçu il y avait deux mois de cela en passant par le champ du vieux Dickson, un jeune noir aux cheveux long qui ouvrait la terre en guidant une charrue derrière un cheval de trait. Sur le moment il était resté figé, de peur que le sauvage ne l'ayant vu ne l'assassine. Mais ce dernier continuant sa besogne comme si de rien n'était, il s'en était allé sur la pointe des pieds raconter au reste du village que ce traite à sa race de Dickson aux mépris de toute loi, donnait le gîte et le couvert à un de ces animaux de nègres.

Lorsque le chasseur et son collaborateur étaient arrivés sur le domaine de plusieurs hectares de ce veuf de quatre-vingt-douze ans, le vieil homme leur avoua après qu'ils l'eurent rouer de coups, que le fugitif hébergé était partit depuis quatre semaines déjà, vers le nord. Se lançant sur sa piste et après milles péripéties durant lesquelles ce diable de nègre leur avait fait tourner en bourrique pendant des mois et des mois, traversant des villes et des villages, ils avaient un jour, finis par l'acculer aux abords d'une falaise appelée «Le gouffre de la mort».

Le chasseur dit à Mr De brym qu'il avait tenu à capturer Shakur pour le ramener vivant comme l'exigeait le contrat mais que celui-ci se voyant condamner, sauta par dessus le vide.

Plusieurs cris de terreurs et de pleurs coupèrent Reynolds, qui poursuivit néanmoins en expliquant que le corps de Shakur s'était écrasé sur les rochers en contrebas et qu'il avait fallut deux jours et demis aux chasseurs pour atteindre le pied de la falaise.

Lorsqu'ils y étaient arrivés ils avaient constatés que sa tête était éclatée, ses membres disloqués, et que les animaux n'avaient pas attendu pour...Une boule dans la gorge bloqua la voix de Reynolds, et d'autres sanglots étouffés se firent entendre. 

Le cadavre de Shakur était en si mauvais état, continua le major d'homme en déglutissant avec peine, que le chasseur prenant la décision le laisser là, se contenta de récupérer ses effets personnels, ses chaussures en cuir brun foncé ainsi que le collier qu'il avait toujours porté autour du cou.

-Et Ma, demanda la grosse Betsy en pleurant doucement.

-Y a plus de Ma, répondit Reynolds en quittant la cuisine les épaules abattues.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant