Chapitre 90

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Ysaé


Je manquai de défaillir à plusieurs reprises tant les palpitations de mon cœur m'arrachaient les cotes. 

Je tentais de respirer normalement mais c'était peine perdue. 

Devant le spectacle qui se déroulait devant mes yeux, ma gorge se nouait et mes entrailles se tordaient avec violence. 

J'avais l'impression d'être attachée au poteau des supplice et recevoir les coups de fouet à la place de Pa. 

Je restais là, figée dans le moment, perdu dans les mouvement répétés du fouet qui s'abattait sur lui encore, encore, encore et encore.

 Le sang coulait à flots de ses plaies ouvertes. Un goût de rouille recouvrit l'arrière de ma langue tandis que je mordais sans cesse dans ma joue.

Jamais je ne m'habituerais à un tel supplice.

Jamais je ne m'habituerais à voir un des miens souffrir de la sorte. C'était inhumain. 

Certains esclaves disaient que la seule façon d'avancer dans cette vie, c'était de continuer d'aller de l'avant coûte que coûte. Mais si cela se vérifiait la plupart de temps, dans une situation comme celle-ci c'était des conneries.

Aujourd'hui personne n'irait de l'avant.

Personne ne penserait à l'après.

Tous restaient prisonniers de l'instant présent.

Les Supérieurs se relayaient, et le fouet s'abattait toujours.

Le corps de Pa ne se projetait plus en avant sous la force des coups. Sa peau par contre continuait à s'ouvrir à des endroits différents et du sang frais continuait d'affluer à la surface de son épiderme. 

Pa n'était plus qu'une plaie géante sanguinolente.

Il n'avait plus de visage. Ses yeux si doux ne pouvaient plus s'ouvrir. Il n'avait plus d'habits. Des rigoles de sang coulaient le long de son corps dénudé. Certaines glissaient entre ses fesses, d'autres s'étalaient par terre en faisant des ploc, ploc, ploc, insupportables, à répétitions.

Du vomi menaça de monter dans ma gorge, mais je le repoussai.

Voir Pa dans cet état lacérait mon cœur. 

Ma souffrance devenant insupportable, je devais l'anéantir au plus vite pour ne pas devenir folle. Comme si cette pensée avait atteint quelque chose en moi, mon esprit s'évada et je ne ressentis plus la souffrance de la même façon. Je n'avais presque plus mal. Un brouillard était venu m'envelopper. Le même qui m'avait drapé le jour où les chasseurs avaient tué Amma sous mes yeux, sans pitié. 

Au travers la brume, je distinguai les esclaves du domaine. Ceux de la grande maison et ceux des champs qu'on avait été chercher pour l'occasion. Les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards, les infirmes et les malades, tous assistaient au châtiment de Pa. 

Certains avaient le regard perdu. D'autres vacillaient. D'autres s'étaient écroulés par terre. D'autres encore balançaient la tête de droite à gauche comme pour nier la réalité de ce qu'il se passait. Les enfants les plus grands fixaient Pa de leurs yeux trop grand pour leur visage émaciés sans paraître comprendre tandis que les plus petits réfugiés dans les jupes de leur mère, pleuraient à chaudes larmes. 

Debout non loin de Pa, je l'entendais qui psalmodiait des prières d'une voix hachée : Imana..c'est m...moi. Ya...kob. S'y te plaît...pro...tège mon...gars. Fais qu'y...sème les...Supérieurs... Imana...c'est Ya...kob. S'y te plaît...pro...tège mon...gars. Fais qu'y sème...les Supérieurs...Imana...

Les coups de fouets cessèrent. 

Trois Supérieurs détachèrent Pa du poteau des supplices, le laissant chuter par terre. Ils lui attachèrent ensuite les mains dans le dos. Puis passant une longue corde dans son cou, le traînèrent près du Sycomore en jetant l'autre extrémité de la corde par dessus une des branches de l'arbre sur laquelle ils tirèrent pour le redresser. Ils nouèrent le reste la corde autour du tronc. 

Ma se jeta par terre entre les deux Supérieurs qui la gardaient. Incapable de calmer les spasmes qui la secouaient, elle se tenait le ventre comme si elle allait accoucher.

La corde se resserrait inexorablement autour du cou de Pa.

-Lyn! Hurla t-il dans un ultime effort.

Avant de pousser son dernier râle.  

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant