Chapitre 66

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 Ysaé


La conscience me revint avec la force d'une gifle en plein visage. J'étais dans le lit de Mr Salvor. confortablement installée au creux de son buste. Son bras enveloppant ma taille de façon possessive. Il dormait. Paisiblement. Mais qu'est-ce que je venais de faire?!

De le laisser te dévorer. Encore une fois!

Il fallait que je sorte de cette chambre. Rapidement. Et ceci pour trois foutues bonnes raisons. La première, parce que ne sachant pas combien de temps j'avais été enfermé avec lui, j'avais peur que ma maîtresse eut besoin de moi et que je ne sois pas là. La deuxième, parce que je ne voulais pas être surprise par la personne qui pénétrerait dans ses appartements.

Shakur par exemple?!

Et la troisième, parce que maintenant que son excitation était retombée, je craignais fort qu'en se réveillant, il ne me méprise comme la dernière fois dans le pavillon. 

Je déplaçai mon corps légèrement pour m'éloigner de sa chaleur. Mais au même moment son bras se resserra autour de ma taille. Mon corps se figea. Un goût du cuivre se répandit dans ma bouche, je venais de mordre en plein dans ma joue. Mon cœur martelait dans mes oreilles tandis que je m'efforçai de m'empêcher de bouger. Ne voulant pas le réveiller, je restai inerte. 

Quelques minutes plus tard, sa prise se relâchant de nouveau, j'engageai une autre tentative. Bougeant doucement, je me glissai avec précaution sur le côté. Le froid investissant ma peau en quittant la chaleur de ses bras, je posai mes pieds sur le sol et m'arrêtai pour écouter le bruit régulier de sa respiration. Puis me mis debout. Marchant à pas de loup, je partis à la recherche de ma tunique qu'il avait jeté par terre et que je retrouvai près de la méridienne après quelques instants de quête.

L'ayant revêtu, je parcouru le décor de sa chambre, avant que mon regard ne tombe sur lui. Les angles durs de sa mâchoire, ses pommettes magnifiques, la courbe douce de ses lèvres, son corps nu enroulé dans les draps fins, il était d'une beauté époustouflante. Pourtant je ne devais pas oublié que toute son éducation et le monde auquel il appartenait, l'avaient appris à considérer les gens comme moi comme des animaux à leur services. Mon cœur se serrant devant cette flagrance, je clos les paupières un instant et laissai échapper le souffle tremblant que je retenais depuis mon réveil. 

Quand je rouvris mes yeux, les iris glacées de Mr Salvor étaient rivés sur moi. Il m'observait, et une lueur dangereuse voilait son regard. Il se redressa en tendant la main vers moi. Je fis un pas en arrière, le cœur battant. Il me scrutait, me portant le même intérêt qu'un lion affamé démontrait à une gazelle blessée. 

Tandis qu'il se levait du lit, le drap glissa le long de son corps, exposant son membre. Il me désirait à nouveau. Cela me terrifia. Je bondis vers la porte dans l'espoir de m'échapper. Il bondit aussi. 

Arrivé avant moi il me barra le passage. Nous étions si proche qu'il devait entendre mon cœur donner l'assaut à ma poitrine. Il empoigna une de mes mains et me regarda obsessivement comme un fou, comme si tout mon être lui appartenait et que moi ni personne ne pourrait rien faire contre cela. J'essayai de retirer ma main de son emprise, mais il me retint en la serrant plus fort.

-Je te veux ce soir dans mon lit, dit-il d'une voix crispé, tant contenir son désir lui coûtait. Obéis cette fois. Sinon tu le regretteras!

Puis il s'effaça pour me laisser passer.


                                                                                      ***

Lorsque j'arrivai dans ses appartements, Mlle avait fait rouler sa chaise jusqu'à son piano carré en acajou. Elle était entrain de jouer un morceau. C'était la première fois que je l'entendais. Il était magnifique. Des florilèges de sons puissants et en même temps doux se répandaient partout dans la pièce. Ne voulant pas la déranger, je m'assis sur son lit en silence.

Mlle oscillait doucement comme habitée par la musique. Les yeux fermés, ses doigts fins caressaient allègrement les touches. Je frémis en la regardant et respirai profondément en me perdant moi aussi dans sa mélopée émouvante.

Je voulais oublier.

Tout.

Le regard de Mr Salvor.

Son obsession.

Sa folie.

Son rejet.

Son étreinte, qui semblait amoureuse et qui ne l'était pas puisque nous ne l'étions pas.

Sa possessivité.

La chaleur de ses bras.

Ses menaces.

Son obsession.

L'euphorie du plaisir, toujours plus intense.

Ma peur.

Ma culpabilité.

Ma capture.

Ma vente aux enchères.

Ma séparation d'avec Maé.

Mon chagrin.

Ma douleur.

Mes parents.

Shakur.

Mes promesses.

Ma trahison...

La musique déferlait sur moi comme une énorme vague, m'emportant dans ses profondeurs.

Mlle, les yeux toujours clos continuait de jouer.

Les notes s'élevaient de plus en plus haut.

Je tentai de refouler ma tristesse.

Mais elle restait là.

Tenace comme la peste.

M'habitant perpétuellement, depuis le jour de la mort de ma mère. Des larmes brûlèrent mes paupières tandis que je m'efforçais de lutter de toutes mes forces contre le désespoir.

La musique s'arrêta. Je cachai mon visage derrière mes mains.

-Ysaé? Chuchota Mlle.

Je secouai la tête incapable de parler ou de la regarder.

Le crissement de la roue de sa chaise m'indiqua qu'elle se déplaçait. Je sentis sa présence devant moi bien avant que sa main ne touchasses mon bras.

-Que t'arrive t-il?

L'inquiétude dans sa voix me bouleversa.

Certains poisons n'avaient pas d'antidote.

Et Mr Salvor était le plus mortel de tous.

Je ne pouvais pas me débarrasser de lui.

Il m'avait envahit toute entière. Sa beauté ensorcelante, sa présence écrasante, son odeur entêtante, restaient là, enfouis en moi, comme une malédiction.

Il avait pénétré mon âme. Au point que je le sentais circuler dans mon sang. Mon salut ne viendrait que lorsque je m'enfuirais avec Shakur. Loin de lui.

Mais d'ici là...

Je lui appartenais corps et âme.

Alors je fondis. Mes larmes dévalant mes joues sans retenu.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant