Chapitre 86

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Ysaé

Les yeux levés vers le Capitaine, je m'efforçai de garder un visage impassible. Ne pas montrer ma terreur. Ne pas paraître faible. Mais ma main tremblait tellement que je du la fermer en un poing serré et l'enfouir dans les plis de ma tunique.

Le Capitaine sautant à bas de sa monture s'approcha de moi.

-Lorsque j'ai vu la grosse Betsy courir ce matin chez Ma comme une vache enragée, commença t-il de sa voix nasillarde. J'ai su que quelque chose se tramait. J' savais même pas qu'une grosse vache comme elle pouvait courir aussi vite. Je me suis juste planqué et vous ai regarder faire. Tu comptais quoi, t'enfuir comme Belle? J'ai été d'une extrême patience avec toi petite salope de négresse. Maintenant c'est terminé. Je te ramènerais pour Mr De brym qui vendra ton petit cul dans un des bordels de Palanques. Mais avant, je vais prendre ce que tu me dois depuis tout ce temps!

Sans crier gare son bras puissant s'enroula autour de moi et me souleva. Je me débattis, le mordant, lui donnant des coups de sac de vivres et de calebasse. Mais rien n'y fit. En désespoir de cause je pris mon élan pour rejeter la tête en arrière et lui assener un coup dans la mâchoire. Semblant sonné sur l'instant, il se ressaisit rapidement. Dans notre lutte, le sac de vivres et la calebasse voltigèrent au loin et nous tombâmes par terre. Il atterrit sur moi de tout son poids.

 Une douleur aiguë explosa au moment où ma tête heurta violemment le sol. Je vis des étoiles. J'avais du mal à respirer car il était assit sur mon ventre. Je hurlai de toutes mes forces. Il m'assena une gifle si violente qu'un filet de sang s'écoula du coin de ma bouche. Puis il me bâillonna tandis que son autre main glissait déjà sous ma tunique. Je labourai son visage avec mes ongles, mais mes coups n'eurent aucun effet sur lui. Je n'étais pas de taille à l'affronter. Il était trop fort. 

Lorsque je croisai son regard, la perversité que j'y lu me retourna l'estomac. Son regard était cruel. Un plaisir malsain, une monstrueuse supériorité l'animait. Il aimait ça. Il aimait que les femmes comme moi résiste.

-J'en ai maté de plus coriace que toi, ricana t-il, un rictus diabolique sur ses lèvres.

Ses doigts commencèrent à atteindre mon intimité lorsque tout à coup, une masse s'abattit sur lui, l'envoyant bouler au loin.

-Ne la touche pas! Entendis je hurler.

Libérée du poids du Capitaine, j'essayai de me mettre debout mais mes jointures devenues faibles, je m'effondrai par terre. Une pluie d'étoiles éclata devant mes yeux lorsque du sang coula de mes genoux et que des cailloux s'incrustèrent dans la paume de mes mains. Je vomis à cause du choc. Au travers de la brume qui obscurcissait ma vision, je vis Shakur se redresser et attraper la chemise du Capitaine pour le relever sans ménagement. Une fois son visage tourné vers le sien, il lui assena un coup de poing en plein dans le nez. L'os craqua et le Capitaine tomba à la renverse complètement sonné. Shakur lui donna une volée de coups pieds dans les côtes. Puis s'emparant de son couteau, il posa son genou sur l'énorme ventre du Capitaine et levant sa main, abattit son poignard dans sa poitrine.

Encore, encore, encore et encore.

Devant ce déchaînement de violence, mes tempes battaient comme les tambours annonçant Obawa.

Boum. Boum. Boum. Boum.

Quand Shakur abandonna enfin, le cadavre du Capitaine pour se précipiter et me prendre dans ses bras, j'éclatai en gros sanglots déchirant qui lacérèrent ma poitrine.

-Ça va aller mon amour. Ça va aller..

Même à bout de force dans les bras de Shakur, mon ouïe réussit tout de même à percevoir des bruits de pas précipités.

Je n'eus pas le temps de l'en avertir, que Pa criait,

-Shakur. Tu dois t'en aller maintenant!

Une boule d'angoisse obstrua ma gorge en entendant Pa.

-Hallucinai je? Avait-il dit cette phrase abominable. Cette horreur?

Avait-il demandé à Shakur s'en aller. Sans moi?

-Nooon, rugit Shakur les yeux fous, en se précipitant vers lui.

-Les hommes du Capitaine s'ront là d'un instant à l'autre. J' les ais vus descendre la colline. Tu dois partir maintenant mon fils ou ils t'abattront! S'égosilla Pa.

Me redressant sur mes jambes flageolantes pour les rejoindre, je triturais de mes mains moites le tissu devenu terreux de ma tunique. Les paroles de Pa m'avaient plongées dans un profond désarroi. Mes évasions se solderaient elle toujours ainsi?

Par des échecs?!

-Je ne partirais pas sans elle!

-Elle t' ralentira. Elle est couverte d' sang. Les chiens vous détecteront en un rien d' temps!

-Non!

-Regarde la, Shakur!

-Non!

-Regarde la! Sa blessure à l'arrière d' sa tête saigne abondamment. Elle a des plaies sur l' corps. Elle est épuisée. Les chiens l'attaqueront en premier. Ils la déchireront devant toi. T'essaieras d' la sauver et vous mourrez tous les deux.

Shakur, tirait sur une de ses tresses, signe de son extrême nervosité.

-T'as pas le choix. Il faut qu' tu t'en ailles, supplia Pa.

-Non. Je ne supporterais pas que quelque chose vous arrive à cause de moi. Gémit, Shakur.

-T'inquiètes pas, rien n' nous arrivera. J'ai un plan. J' f'rais d' mon mieux pour retenir les hommes du Capitaine. Tu connais ces bois comme ta poche. A deux c'est impossible mais seul, t'as une chance de t'en sortir. Va t'en mon fils, éructa Pa.

Pa avait raison, constatai je horrifiée. Ma blessure à la tête n'arrêtait pas de saigner et je sentais déjà la faiblesse me gagner peu à peu. Je serais un poids pour Shakur qui risquerait de mourir par ma faute. Et cela plus que tout au monde m'était insupportable. Je préférais encore mourir sous les mains des Supérieurs que de voir cela arriver.

-Pa à raison, dis-je en prenant la main avec laquelle il arrachait ses cheveux. Il faut que tu te sauves, Shakur! Si je pars avec toi ils nous rattraperont et nous tueront tous les deux!

Shakur me fixait sans rien dire. Puis il me souleva, aussitôt j'enroulai mes bras autour de son cou et mes jambes autour de sa taille.

-Je reviendrais te chercher, je le jures sur les ancêtres, souffla t-il dans ma bouche, la voix cassée.

J'acquiesçai plusieurs fois sans pouvoir retenir mes larmes. Il fit pareil, laissant couler les siennes sur ses joues avant de répéter d'une voix plus forte, plus vibrante.

-Je reviendrais te chercher, je le jure sur les ancêtres.

Je pinçai mes lèvres pour éviter d'éclater en gros sanglots, puis je l'embrassai. Avec désespoir. Car au fond de moi j'avais le sentiment que jamais plus je ne le reverrais. Il répondit à mon baiser dans un élan passionné.

-Halte là! Cria t-on au loin.

-Il sont là, nous interrompit Pa.

J'obligeai Shakur à se détacher de moi en le repoussant de toute mes forces.

-C'est vrai que tu as un plan? Hoqueta t-il à Pa.

-Oui, j'ai un plan, t'en fais pas!

-Dis à Ma que je l'aime. Et protège la, supplia t-il à mon intention, avant de s'enfoncer dans les bois, son regard déchirant braquer sur moi.

Je m'effondrai dans les bras de Pa, lorsque quelques minutes plus tard, arrivant à notre niveau, quatre Supérieurs se détachant du groupe à cheval, s'élancèrent à la poursuite de Shakur.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant