Chapitre 22

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Ysaé


Nous étions dans le bâtiment où se trouvait le métier à tisser. Là où Prune confectionnait les vêtements de tous les esclaves. De ceux des champs ainsi que de ceux du domaine. Elle utilisait à cet effet du tissu blanc le plus grossier mais parvenait avec les linges usagés de la maison, à renforcer chaque chemise, chaque pantalon et chaque robe pour les rendre un peu plus résistants. De là sortait aussi tout ce qui servait au domaine, les nappes, les serviettes, les édredons, les couvres lits, les rideaux, les draps, les robes de mademoiselle, ses chapeaux, ses sac, ses coussins et bien d'autres choses encore. 

De toutes les dépendances du domaine, l'atelier de couture était le préféré de mademoiselle. C'était une vaste pièce douillette dans laquelle trônait une grande table et où des coffres en bois marron débordaient de tissus et de fils de toutes sortes de couleurs. Prune, assise devant un métier à tisser, passaient la navette de fils tandis que ses pieds jouaient avec les pédales. Elle fabriquait une nappe que Ma Lyn lui avait commandé. Elle était si habile, qu'on avait l'impression que la nappe prenaient littéralement vie sous ses mains. Sa réputation était telle, que toutes les grandes maîtresses de la région cherchaient à la débaucher en proposant à Mr De brym des sommes plus astronomiques les unes que les autres pour se l'approprier. Mais ce dernier connaissant la valeur inestimable de son esclave avait toujours décliner leurs offres alléchantes. 

 Assise à table, mademoiselle était concentrée sur son travail. Elle brodait d'une main tout aussi experte, de jolies petites tulipes carmin sur plusieurs serviettes de table qu'elle avait confectionnée et qui s'accordaient merveilleusement avec la nappe de Prune. L'atelier embaumait le thé et le gâteau au miel que Ma nous avait apporter. Quant à moi, je me contentais de plier des vêtements, mademoiselle m'ayant interdit de toucher à quoi que ce soit d'autre. Les travaux de coutures ne collant pas avec ma personnalité, j'avais du mal à tout bonnement rester assise à piquer des aiguilles dans des étoffes. Le fait d'avoir massacrer plusieurs empiècements de toile, avait permis aux deux expertes en couture, de m'affubler du doux sobriquet de «Saccageuse de tissu».

J'observais Ma à la dérobé. Vêtue d'une longue robe verte, les cheveux retenus par un ruban de la même couleur, elle était magnifique. Debout à coté de Prune, elle semblait plus détendue, sûrement parce que Mr De brym s'était absenté pour la journée. Il était allé visiter son frère aîné, qui habitait le domaine jouxtant le sien. 

Je n'avais pas revu Ma depuis le fameux jour où nous avions été convoquées au bureau. Le fameux jour où j'avais compris que la raison de la colère de Pa était qu'il ne supportait pas que le maître, à chaque fois qu'il revenait, s'accapare de Ma comme si elle était sa femme. Ce soir là lorsque je m'étais laissé tomber sur mon lit, j'avais enfouis mon visage dans le matelas et estomaquée avait repassé dans ma tête les événements de la matinée en me demandant comment Ma pouvait supporter une expérience aussi épouvantable. Des jours durant j'avais tenté péniblement de chasser de mon esprit le souvenir de ce que j'avais vu. Mais le regard résigné couleur caramel de Ma ne me quittait pas. 

Un courant d'air s'engouffra dans l'atelier lorsque Pa apparut sur le seuil de la porte, telle une apparition angélique. A le voir il était en rage. C'était à peine si de la fumée ne sortait pas de ses oreilles. Pétrifiées, nous le regardâmes se diriger droit vers Ma. Pa n'ayant pas l'habitude d'être sur le domaine à cette heure de la journée, nous comprimes donc qu'il se passait quelque chose de sérieux pour qu'il soit là, et qui plus est dans cet état.

-Belle à besoin de toi! Dit-il à Ma

-Pourquoi? Répondit-elle

-Le capitaine l'a enfermé toute la nuit dans le parc à cochon!

Ma se dressa précipitamment.

-Il faut que je récupère mes médecines.

-Je t'emmène avec la charrette, répondit Pa. Je crois bien qu'il te faudra de l'aide, continua t-il en me regardant.

Ma se tourna instantanément vers mademoiselle Lorys, les yeux suppliants.

-Allez-y toute les deux, répliqua cette dernière. Prune me ramènera.

Je jetai à maîtresse un regard inquiet.

-Ne t'en fais pas Ysaé, tout ira bien. Prune me ramènera.

Sortant en trombe à la suite de Ma, je grimpai, le cœur battant à tout rompre, à l'arrière de la charrette de Pa.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant