Chapitre 24

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Salvor


Rentrant tout juste de mon séjour en ville, je n'aspirais qu'à une seule chose, me délasser de toute la fatigue du voyage en me prélassant dans un bon bain chaud. Au lieu de quoi, je me retrouvais devant la porte du bureau de mon père pour lui faire un compte rendu de la «réunion de planteurs» dans laquelle il m'avait demandé de le représenter. La raison qui avait pousser mon paternel à ne pas participer au vote du conseil et rentrer plus tôt que prévu sur la plantation était la bonne.

Quelque chose se tramait effectivement avec un nos collaborateurs.

Je pénétrai dans la pièce après avoir reçu son aval. C'était un rituel auquel je ne dérogeais plus maintenant, une fois m'ayant largement suffit. Je devais avoir à peu près dans les cinq ans lorsque j'étais entré dans son bureau sans frapper, tout heureux de lui montrer la reproduction du train miniature en bois avec des moulages en plomb que ma mère m'avait offert et que j'avais réussis à monter tout seul. La voix plus froide et plus distante que d'ordinaire, mon père s'était levé de son fauteuil et ne me quittant pas des yeux une seconde, avait réduit mon train en miette en disant

«Tu vas devoir apprendre à être plus obéissant!»

Aujourd'hui encore rien n'avait changé. il n'appréciait toujours pas qu'on le dérange et le fait que je ne sois plus un garçon peureux de cinq ans, ne changeait rien à cet état de fait.

-Alors, dit-il, levant à peine les yeux des documents qu'il était entrain d'étudier.

M'installant dans le siège en face de lui, j'attendis qu'il daigne me regarder. La pièce sentait le cigare et le cuir. Pendant un instant je ressentis la même oppression mêlée d'espoir que je traînais enfant à chaque fois que je me retrouvais en sa présence. Oppression à l'idée que je ne serais jamais à la hauteur de ses attentes et espoir que pour une fois il serait fier de moi. Il semblerait que j'avais encore du mal à me défaire de cette impression. Et aussi la solitude dans laquelle m'avait plongé la mort de ma mère.

Mon père enlevant ses lunettes, les posèrent sur la table et s'adossa dans son fauteuil. Lorsqu'il darda ses billes marrons sur moi, une aura d'autorité se dégagea juste comme ça. A la tête de la plantation depuis ses trente ans, il avait grâce à un travail acharné fait notre patrimoine atteindre des sommets exceptionnels. Le jour où il avait épousé ma mère, ça n'avait été qu'un compromis conclu entre deux familles. Une transaction lui permettant d'étendre d'avantage son influence. Il ne s'en était jamais caché. Leur union n'était pas un mariage d'amour.

Croisant les jambes, je posai mes coudes sur les accoudoirs du fauteuil.

-Comment cela s'est-il passé? Demanda mon père.

-Bien. Tout est sous contrôle.

-C'était lui?

-Oui.

-Je souhaitais que Jeff se trompe, dit-il après un instant de réflexion.

-Moi aussi. Mais j'ai tout vérifié.

Mon père se leva, prépara deux verres d'un alcool fort, me tendit le mien, but une gorgée dans le sien puis alla se rasseoir.

-Bordel! Lâcha t-il.

Il était rare qu'il jure. Et plus rare encore que nos hommes nous trahissent. Surtout un proche collaborateur tel que Marcus. Nous les payions bien trop pour ça. Sans compter que dans le milieu le Respect appelait le Respect. Toutefois, et même si cela restait rarissime, il arrivait que certains distributeurs essayaient d'empocher plus que leur part. Donc des contrôles aléatoires s'effectuaient à cet effet. Ce fut au cours de l'un d'eux, que Jeff le comptable remarqua des irrégularités avec les comptes de Marcus. Mon père m'avait alors envoyé sur place pour comprendre ce qu'il se passait et «agir» en conséquence.

-Qu'a t-il dit? Demanda mon père.

-Au début il a voulu se justifier. Puis devant l'évidence des preuves il a finit par avouer que c'était lui.

Cela faisait des mois que Marcus menait sa petite barque. Nous prenant sans doute pour des crétins. Pourtant il connaissait les risques qu'il encourait à nous voler. Il avait tenté sa chance et avait perdu. Même à la toute fin, il n'avait jamais dit ce qui l'avait pousser à commettre une telle folie, lorsque je l'avais personnellement interrogé.

-Qui as tu mis à sa place?

-Braz.

Mon père ne fit aucun commentaire. J'avais fait le bon choix.

-Ne t'inquiètes pas, dis-je. Les autres ont compris la leçon à l'instant où il a finit au fond du fleuve.

-Je sais.

Une entreprise comme la notre qui durait sur plusieurs générations avait des règles strictes avec lesquelles il ne fallait pas transiger. C'était le père de mon aïeul qui avait bridé le marché en s'arrogeant le monopole de la fabrication et de la distribution du tabac dans tout Palanques, et il avait fait cela en plongeant dans de sombres extrémités. Un empire tel que le notre attirait forcément les envieux et avec eux il ne fallait agir que d'une seule façon. Que ce soit l'argent ou la marchandise, le châtiment de ceux qui volaient les De brym était le même. La Mort. Marcus savait très bien dans quoi il s'engageait lorsqu'il avait revendu une partie de notre tabac de luxe dans une autre ville sans notre consentement et à un prix plus élevé que le notre.

-Bien. Et le reste des opérations? Enchaîna mon père

-Tout se déroule pour le mieux.

-Comment va Lennox?

Je fus pris au dépourvu. De toute ma vie, mon père ne s'était jamais intéressé à mes sentiments ni à mes désirs, alors à mes fréquentations une fois atteint l'âge adulte...

Surtout si il s'agissait de Lennox. Pour une raison que j'ignorais il ne le supportait pas. Et ce même si il savait qu'il m'avait sauvé la vie. Faisant tournoyer mon verre, j'avalai une gorgée avant de répondre.

-Il va bien.

-Tu peux disposer. Lâcha t-il, reportant son attention sur ses documents.

Je sortis de son bureau l'esprit un brin soucieux.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant