Chapitre 15

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Ysaé


J'avais repris conscience enfermée dans une cabane faite de planche en bois avec un sol en terre battue. Elle était si petite qu'il était impossible d'y tenir debout. C'était dans cette cage, à l'écart du quartier des esclaves qu'on enfermait les rebelles pendant des jours entiers. J'avais entendu la grosse Betsy dire que si par malheur on survivait à la Boite comme l'appelaient les esclaves, on ne serait plus jamais le même. 

Je me pelotonnai dans un coin enroulant mes bras autour de mes genoux remontés. Il n'y avait pas de fenêtres mais je savais qu'il faisait jour parce que de fines particules de poussières flottaient dans la lumière qui passait à travers les interstices. Des dessins gravés sur les planches de la cabane constellaient les parois. Combien de malheureux étaient passés dans cet endroit avant moi? Beaucoup. Trop. A en juger par le nombre de figures de boues séchées, dessinées.

Qu'adviendrait-il de moi?

Allait-on me fouetter?

Me couper un membre?

Me tuer?

Combien de temps resterais-je enfermer ici?

Allait-on me laisser mourir de soif?

Allais-je revoir Maé?

Ces questions me tourmentant encore et encore, je plongeai la tête de désespoir entre mes genoux et me mis à me balancer d'avant en arrière en demandant à Dieu de me tuer sur place.

Le soleil amorçait sa descente pour se rendre de l'autre coté de la terre, lorsque j'entendis le loquet de la cabane cliqueter. L'homme qui se tenait dans l'ouverture de la porte cria.

-Sors!

Alors que je cherchais à déplier mes membres ankylosés, il entra, m'agrippa par le bras et me traîna dehors.

-J'ai dit sors! Hurla t-il.

Le goût acre de la terreur emplit ma bouche. Une sueur glacée coula le long de mon dos et mon cœur battait si fort qu'il écartelait mes cotes. Je réussis tant bien que mal à marcher debout tandis que l'homme me traînait sur le chemin menant au hangar à tabac. A l'intérieur où séchaient les feuilles de la dernière récolte, je fus estomaquée de voir tous les domestiques de la maison rassemblés là. Ma Lyn, Shakur, Pa Yakob, la grosse Betsy, Reynolds le majordome, George le valet de pied, Pipa et Mabel, Delly la blanchisseuse et ses trois filles, Prune, le capitaine Hardy, avec deux autres hommes blanc que je ne connaissais pas. Puis mademoiselle Lorys dans sa chaise roulante. Et enfin, Mr Salvor.

-Mon frère, ce châtiment n'est pas nécessaire. Ne fais pas ça, je t'en pries, s'écria mademoiselle Lorys d'une voix fêlée.

Positionnée comme je l'étais je ne pouvais pas voir Mr Salvor. Mais je l'entendais. Il était le seul à marteler le sol du hangar en faisant les cent pas tel un lion en cage.

-Je dois le faire. Tu ne peux pas comprendre!

-Tout ce que je comprends c'est que tu agis exactement comme père! Cria mademoiselle.

-Si j'agissais comme père, elle serait morte à l'heure qu'il est hurla t-il en retour.

Pas une mouche ne vola suite à sa fracassante déclaration.

-Capitaine, faite ce que vous avez à faire! Éructa t-il avant de quitter le hangar au pas de charge.

- Enlèves ta chemise aboya le capitaine Hardy en s'adressant à moi.

J'ordonnai à mes bras de bouger pour obéir mais ils restèrent résolument pendu le long de mon corps. Le capitaine vrillant ses yeux dans les miens avança. Agrippant le col de ma chemise il la déchira me laissant la poitrine nue, devant tout le monde. Il recula pour mieux me reluquer. Ne pouvant supporter le poids de son regard avide sur moi, je baissai la tête.

-Attachez là!

Les deux hommes qui l'accompagnaient me saisirent et m'allongèrent, exposant mon dos, sur une grande table rectangulaire ou de larges bracelets en cuir aux fermoirs en fer, étaient placés aux quatre extrémités. Ils s'en servirent afin de maintenir mes membres. Je n'opposai aucune résistance. A quoi bon. Une tige de fer rougissait là-bas dans un feu. Il allait me marquer, remarquais-je avec horreur. Mon cœur plongea par terre. J'allais subir la marque des captifs. Celle que Loop m'avait conseillé de fuir à tout prix. Celle qui ferait que mon nom serait écrit quelque part dans un registre. Celle qui ne me permettrait jamais d'être libre et qui ferait de moi une marchandise.

J'entendis Ma soupirer de douleur et le reste de l'assemblée frémit, alors que le capitaine enroulant un linge autour de la tige de fer, la retirait du feu. Jamais je n'oublierais ce qu'il se passa ensuite. Le capitaine d'une forte pression et pendant ce qui sembla durer une éternité, apposa le tisonnier sur le haut de mon épaule droite. Ma peau se fendit, grésilla et fuma. Une rivière de sang chaud dévala mon bras. La stupeur passée, je hurlai. Jamais encore je n'avais ressenti de douleur aussi vive. Quoique attaché, mon corps entier vrillait de spasmes.

-Maintenant tu es marquée aux initiales de ton maître, énonça doctement le Capitaine. Si tu te sauves quiconque te trouvera, te ramènera à lui. Et dans ce cas là, tu subiras le châtiment réservé aux marrons.

Personne ne broncha. Les hommes du capitaine défirent mes liens.

-Vous êtes esclaves pendant toute votre chienne de vie, cria le Capitaine à l'assistance. N'oubliez jamais ça, les menaça t-il en leur montrant la tige de fer rougie. Ne croyez pas être supérieurs aux esclaves des champs parce que vous n'êtes pas marqués! Les feux de l'enfer s'abattront sur tous ceux qui essaieront de s'enfuir. Allez vaquer à vos occupations, poursuivit-il. Même Dieu ne pourra pas vous protéger de moi si je vous prend ne serait-ce qu'à MURMURER!

Le hangar se vida dans un silence de cathédrale. Lorsque Ma passa devant moi en emmenant mademoiselle Lorys en pleurs, elle me demanda de l'attendre dans sa case. Quand j'eus enfin le courage de me redresser, Shakur me dévisageait. Nos regards se rivèrent l'un à l'autre. La douleur que je lis dans ses yeux rougis finit par m'anéantir. 

La tête haute pour retenir mes larmes, je courus comme une folle, la poitrine nue, jusqu'à chez Ma.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant