Chapitre 12

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Salvor


Cette journée allait avoir une fin tumultueuse.

Mais ça je l'ignorais lorsque je me mis au travail ce matin là.

Je passai la matinée à vérifier les comptes du domaine puis ceux des magasins et ceux de la plantation. Ce qui me déclencha une migraine virulente. En début d'après-midi, je supervisai les préparatifs d'expédition du Capitaine Hardy. Une fois par mois, ce dernier effectuait sous une escorte d'hommes armés, la livraison de tout ce que nous fabriquions sur la plantation pour réapprovisionner les boutiques que nous possédions en ville. Des boites de cigare en passant par le tabac à priser, celui à rouler, celui à mâcher et jusqu'aux cigarillos, tout se vendait comme les petits pains de la grosse Betsy, les jours de kermesse.

Après le départ du capitaine, je m'enfermai dans le bureau où je continuai d'étudier un important contrat qui lierait la plantation à la plus grosse entreprise de Listenbourg. Je prévoyais pour cela, d'utiliser l'importante flotte de la Syldavie en vue d'acheminer notre tabac de luxe dans le pays voisin. Les propositions pleuvaient, la demande était forte et le contrat que je préparais avec mon futur partenaire logistique assurerait des bénéfices colossales aux De brym et cerise sur le gâteau, rendrait mon père fier au passage. C'était tout ce qui comptait pour moi, faire la fierté de mon paternel, voir son regard briller d'admiration pour moi, pour une fois.

 J'étais absorbé par ma tache. Néanmoins, des pensées insidieuses tentaient de s'immiscer dans mon esprit. Des images d'une esclave, au regard aussi profond que les abysses. Depuis le jour où je l'avais vu dans la chambre de ma sœur, son regard sombre et son corps tout en courbe ne me quittaient plus. Me tenant éveillé le peu de temps que me laissaient mes cauchemars. Je fermai les yeux et inspirai par le nez pendant plusieurs secondes, refusant de me laisser porter par l'exaltation singulière qui s'emparait de moi à chaque fois que je pensais à elle.

C'est à dire tout le temps!

J'avais horreur de l'emprise qu'elle exerçait sur moi. Je ne comprenais pas pourquoi elle me hantait à ce point. Ni pourquoi je l'avais suivi l'autre jour dans la serre. Ni pour quelle raison l'obsédant besoin de rentrer dans sa chambre s'était manifesté.

Deux fois de suite!

J'avais horreur des sensations que l'esclave éveillait en moi et qui chamboulaient mon ventre. J'avais beau essayer de la chasser de mon esprit, qu'elle me poursuivait toujours comme une mauvaise odeur.

Pourquoi exerçait-elle une telle attraction sur moi?

La sensation brûlante qui se manifestait entre mes jambes à chaque fois que je pensais à elle, m'exécrait.

Comment de telles choses pouvaient-elles se produire?

Comment mon corps pouvait-il réagir à ce point?

Elle était une esclave nom de Dieu! A la peau sombre par dessus le marché!

Je me dégoûtais d'avoir respirer à plein poumon son odeur et de m'être laisser emporter à jouer avec une boucle de ses cheveux crépus. Je détestait l'esclave. Oui, et j'exécrais sa sorcellerie, qu'elle tentait de dissimuler sous un voile d'innocence. Elle n'était rien d'autre qu'une hypocrite. Qu'une foutue hypocrite de sorcière hypocrite qui faisait semblant. Et elle paierait pour cela!

J'en étais là de mes récriminations lorsque les coups familiers de Shakur se firent entendre.

-Entre!

-Une lettre monsieur, annonça t-il en avançant dans la pièce.

-De qui? Demandais-je, avide de pouvoir focaliser mon esprit sur autre chose.

-De monsieur votre père.

-Ouvre et lis-la moi.

Shakur était le seul esclave de la plantation à savoir lire. Et c'était moi qui lui avait appris. Après la mort de ma mère dans ce terrible accident de calèche, j'avais sombré dans un trou sombre. Je ne voulais voir personne et encore moins communiquer avec qui que ce soit. C'est alors que mon père avait eut la «brillante» idée de prendre le fils Ma Lyn pour qu'il me tienne compagnie. Cette dernière versa toutes les larmes de son corps mais ne dit rien, car elle savait que c'était soit ça, soit son fils irait travailler dans les champs avec le capitaine Hardy. Contre toute attente, tout se passa naturellement entre nous deux. Le temps passant, une solide amitié se développa. J'appris tout ce que je savais à Shakur, ce qui fit que la lecture, l'écriture, les mathématiques et même l'histoire ne furent plus des notions abstraites pour lui. Le jour où mon père le surprit en train de lire une encyclopédie dans ma chambre, il se contenta de me fixer en disant

«J'espère que tu ne le regretteras pas.»

Ce jour là fut l'unique fois où mon père passa à un de mes «caprice».

Brisant le sceau de la lettre, Shakur la parcouru avant de m'annoncer,

-Votre père vous fait dire qu'il arrive vendredi. C'est après demain.

-Après demain?

Surpris, je fis tourner la chevalière en or autour de mon majeur, caressant ainsi le symbole des De brym sur sa face en onyx. Pour quelle raison mon père avait-il écourté son voyage en ville. Normalement il ne devait revenir qu'à la fin du mois. Il siégeait au conseil suprême et devait y débattre sur un projet de loi qui permettrait aux soldats de mieux contrôler le territoire. En effet, depuis quelques mois de nombreux esclaves s'enfuyaient dans les montagnes. On racontait même que certains se réfugiaient dans les marécages, lieux dangereux et inaccessibles pour l'armée, d'où il était impossible de les déloger. Toutes ces histoires de marronnages commençaient sérieusement à agiter la bonne société de Palanques, qui craignait que ces marrons aient la mauvaise ou la bonne idée, selon le camp dans lequel on se trouvait, de s'organiser pour semer la terreur dans le pays comme cela s'était déjà produit à Ziane, autre ville de Létreides, dont Palanques était la capitale. Il avait du se passer quelque chose pour que mon père rentre si tôt et la route n'étant pas sure, la crainte qu'il lui arrive des complications me tournait le ventre.

-Demande à Georges de préparer les appartements de mon père dis-je à Shakur. Et dit à Markus et à Natt de partir à sa rencontre demain matin, dès la première heure.

-Bien monsieur, répondit-il en quittant la pièce.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant