Chapitre 26

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Salvor


Leur image me hantait. Et malgré tous mes efforts je ne parvenait pas à me l'enlever de la tête tandis qu'après avoir pris mon bain, je m'habillais en vitesse, je sortais de ma chambre en claquant la porte qui trembla dans ses gonds, je martelai le tapis du couloir, traversai la maison au pas de charge et arrivai près des écuries tel un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage.

 Lorsqu'ils me virent, les plaisanteries débiles de Shakur moururent sur le champ, l'esclave retint son souffle et ma sœur me scruta d'un œil suspicieux.

-Tu ferais mieux de t'occuper des chevaux. Balançai-je à Shakur d'un ton glacial.

-Oui Monsieur, répondit-il en tournant vivement les talons.

-Mon frère chéri! s'écria Lorys. Toujours d'aussi bonne humeur à ce que je vois.

-Allons nous promener, répliquai-je à peine aimable.Tu permets, questionnai-je l'esclave, lui arrachant la chaise roulante des mains comme si elle s'était emparé de mon bien le plus précieux.

-Oui maître, répondit-elle d'une voix cassée.

Et là je commis la monumentale erreur de la regarder et tombai à pieds joints dans un piège.

Bordel!

Les mains serrées l'une contre l'autre, mon esclave grignotait nerveusement le coin de sa lèvre. Ses yeux sombres lacérèrent mon cœur. Le vide se fit premièrement autour de moi, occultant tout ce qui n'était pas elle. Puis mon corps s'embrasa tel un feu de foret et je du faire appel à toute ma volonté pour ne pas laisser le monstre se précipiter vers elle et la ravager.

Laisse-moi sortir! 

Combien de temps restais-je ainsi dans le vide, le feu aux tripes, à combattre mon monstre, je n'aurais su le dire.

Mais ma transe prit fin lorsque j'entendis ma sœur dire,

-Tu attends quoi Salvor? Le déluge!


                                                                                                ***

Nous nous étions installés dans le pavillon vitré. C'était un petit cocon exotique composé de banquettes confortables aux coussins chatoyants dans laquelle une bibliothèque débordait de livres, de jeux et de curiosités que je ramenais de mes voyages. Une table ronde et ses chaises trônait au milieu de la pièce et des placard regorgeaient de tout le nécessaire. J'avais spécialement fait construire cette petite maison au centre d'une palmeraie pour Lorys, qui aimait s'y réfugier lors de ses promenades. C'était son havre de paix à elle. Un endroit où elle pouvait se distraire loin de l'écrasante atmosphère de la grande maison où rodait le fantôme de notre mère. 

Allongé sur l'une des banquettes, j'observai en douce mon esclave assise autour de la table entrain de jouer aux cartes avec ma sœur. Au début, elle n'arrêtait pas de jeter de furtifs coup d'œil inquiets vers moi. Puis les minutes passant, elle se détendit. Je m'en rendis compte lorsque j'entendis Lorys chuchoter:

-Pauvre Salvor, il est si fatigué qu'à peine arriver il s'effondre comme une souche!

Ne faisant rien pour les démentir, je continuai de les observer en catimini. Mon esclave savait y faire au jeu de carte. Plus d'une fois elle tint ma sœur en respect. Elles avaient l'air de bien s'entendre toutes les deux, riant sous capes comme des cachottières sur le point de se faire attraper. Que Lorys se soit prise d'affection pour elle n'était pas surprenant. Jamais ma sœur n'avait eut d'amies de son âge avec qui s'amuser et il était clair que passer ses journées avec une vielle esclave de soixante-dix ans à la peau ridée qui avait du mal à se déplacer, ne devait pas être très réjouissant.

Elles continuaient de babiller joyeusement et j'étais sur le point de me laisser avoir par une douce somnolence quand le silence se fit tout à coup. L'instant d'après, elles adoptèrent un ton grave. L'esclave rivait sur ma sœur son regard pénétrant. Même de là où j'étais, je me sentis chaviré.

-Non mademoiselle, votre frère ne dois pas le savoir!

-Mais pourquoi ?

Reportant brièvement ses yeux pénétrant sur moi, l'esclave se mit à chuchoter si bas, que je n'entendis plus que des bribes de leur conversation.

-Votre frère...doit...sinon plus...Pa...les enfants!

-Au contraire...il...peur...aider...tu... secours...

-Mais....vous...promis...les deux.

Ma sœur dévisageait l'esclave. Et elles demeurèrent muettes un moment avant que Lorys oubliant de chuchoter ne reprenne,

-D'accord. Mais il faudra que nous soyons extrêmement prudentes!

-Merci mademoiselle, dit l'esclave en serrant les mains de ma sœur par dessus la table, des trémolos dans la voix.

Si je comprenais bien, ma sournoise petite esclave préparait quelques méfaits dont elle  voulait me laisser dans l'ignorance totale.

Serait-ce une autre tentative de fuite dans laquelle cette fois-ci, elle comptait impliquer Lorys?

A cette pensée mon palpitant fit un saut arrière à l'intérieur de ma poitrine. Je savais que l'apparente fragilité derrière laquelle se camouflait l'esclave était feinte. Un feu dévorant couvait en elle. A coup sur elle faisait parti de ces asservis qui ne supportant pas l'asservissement, réitéreraient tentatives de marronnages sur tentatives de marronnages. D'ailleurs, n'était-ce pas ce qu'elle avait laissé sous-entendre le jour où nous nous étions affrontés dans le couloir?

Pensait-elle sérieusement pouvoir me berner et faire de ma sœur la malheureuse victime de ses manigances?

Si mon père découvrait que Lorys avait joué un quelconque rôle dans son évasion, il la réduirait en pièce!

Était-elle donc à ce point dénudée de tout sens moral qu'elle n'hésiterait pas à fouler aux pieds l'amitié incontesté d'une jeune handicapée pour arriver à ses fins?

Parfait.

Elle cherchait les problèmes?

Elle les aurait!

Rien qu'à l'idée d'engager ce combat avec elle ma braguette explosa.

Respire Salvor, respire, respire...

Je me délectais par avance de notre affrontement, car je savais que j'en sortirais vainqueur. Je n'aurais aucun scrupule à la contraindre. A forcer sa docilité à mon encontre. Elle allait apprendre et à ses dépends, que son asservissement envers moi devait être total. Que contester mes ordres ne ferait que lui causer de gros problèmes. 

De toute évidence je devais passer à la vitesse supérieur avec elle. Sinon elle continuerait d'être une sauvage en perdition qui faisait des complots.

Tout cela allait cesser.

Aujourd'hui même!

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant