Partie 5

110 16 1
                                    


Ysaé


Une tranche de pain de maïs miellée au beurre de cacahuète ainsi qu'une chope en métal de café chaud m'attendait sur la table, comme Shakur avait dit. En prenant la douce odeur de caféine, un trop plein d'émotion me submergea, me ramenant instantanément vers Amma qui elle aussi faisait du bon café. A son souvenir ma poitrine se resserra autour de mon cœur déchiqueté. Une vive douleur m'étreignit, m'empêchant de bouger. Ce fut ainsi que Ma me trouva, le regard abattu, entrain de scruter la chope en métal remplit de café.

-Tiens, lança t-elle pour me détourner de ma tristesse. Regarde ce que je t'ai dégoter chez Prune. Une robe, une culotte en étoupe et une paire de soulier tressé. Je crois bien qu'ils pourront t'aller. Ils appartiennent à l'une des trois filles de Prune. Vous avez l'air de faire à peu près la même taille.

Je me défis de la chemise et du pantalon de Shakur pour revêtir la culotte puis la robe que Ma Lyn me tendait. Faite en coton blanc avec des manches courtes, elle était toute simple. Les chaussures quant à elles étaient un peu serré, mais je m'y ferais. N'avais-je pas survécu jusqu'ici? Ce ne serait certainement pas une paire de soulier trop serré qui allaient m'achever. Prenant la cordelette en chanvre de la robe, je nouais ma taille avec.

-Maintenant mange, dit doucement Ma. La journée sera longue.


                                                                                        ***

Trottant derrière Ma comme un petit chien, j'entrai dans la grande maison par l'arrière.

-C'est par là qu'on doit passer, me dit-elle. Les marches du perron sont exclusivement réservées aux maîtres et aux invités. Si tu les empruntes tu seras sévèrement fouettée.

Nous traversâmes la dépendance où se trouvait les réserves de nourriture puis la cuisine où la grosse Betsy pétrissait du pain à perdre haleine.

-Bon matin, Betsy, lança Ma en passant.

-Bon...matin. Ahana la grosse Betsy, en sueur.

Ma Lyn s'arrêta si brusquement que ne pouvant faire autrement je rentrai dans son dos. Se tournant au ralentit, elle me fit face, un air outré sur le visage, la tête penchée, une main sur le coté. Lorsque je vis la grosse Betsy adopter la même pose, je compris de suite d'où venait le problème.

-Bon matin Betsy, murmurais-je honteuse.

-Quand j' disais qu' c' n'était rien d'autre qu'une foutue sauvage!

Ma Lyn reprenant sa progression d'un pas rageur, non sans avoir pousser un «Tut'» de frustration, emprunta un long couloir muni d'un tapis moelleux où je la suivis, puis dépassa une série de portes vernies avant de s'arrêter devant la dernière. Les éclats de voix étouffés qui en réchappaient, m'angoissèrent. Je frissonnai lorsqu'en me jetant un rapide coup d'œil, Ma Lyn toqua à la porte.

-Entrez, lui répondit une voix toute guillerette.

J'entrai à la suite de Ma. Et la première chose que je remarquai fut la jeune fille assise au fond d'un immense lit. Elle avait l'air d'avoir le même age que moi. A peu près dix-huit saisons sèches. De nombreux coussins de couleurs chatoyantes la maintenaient adosser à sa couche. Un plaid épais lui couvrait les jambes. Elle était magnifique. De longues et soyeuses boucles noires coulaient comme des rivières soyeuses sur ses épaules et caressaient le blanc de sa robe de nuit. Cependant, ce qui m'impressionna le plus, fut l'extrême bonté qui émanait de son regard bleu comme l'océan, qu'elle posa sur moi.

-Bonjour Mademoiselle Lorys. Vous avez bien dormi? Lui demanda Ma.

-Oh oui! Si ce n'est cet idiot de Salvor qui m'a réveillé sous prétexte de m'emmener balader, je serais encore entrain de dormir tranquillement!

-De dormir tranquillement? De ronfler rageusement tu veux dire!

-Mr Salvor, lança Ma Lyn, un ton faussement réprobateur. Vous exagérez, il est trop tôt pour se balader, voyons!

-En quoi serait-ce exagéré de vouloir faire sa rageuse/ronfleuse de petite sœur profiter d'une si belle matinée?!

En entendant le timbre grave, je tournai la tête vers celui qui avait parlé. Deux yeux gris me percutèrent. Si gris qu'il me fut impossible de les quitter du regard. Une vague de chaleur aussi puissante que les bourrasques qui soufflaient sur mon île s'empara instantanément de tout mon corps. Je me figeai de stupeur. L'homme qui possédait les yeux gris était beau. D'une manière insensée. Comment c'est possible, m'entendis-je penser.

Bien qu'il soit assis à coté d'un vaste de bureau, il semblait être très grand. L'étoffe de sa chemise remontée sur ses avant-bras bougeait au gré de ses mouvements. Ses traits sans défauts accentuaient la perfection de son visage. Sa peau blanche comme le lait contrastait avec ses cheveux noir, qui court à l'arrière étaient plus long sur le devant. Ses billes grises ne me lâchaient pas et l'étincelle qui les illumina quand il me vit l'observer déclencha les battements fou de mon cœur.

Puis soudainement, sans crier gare, une tempête assombrit ses pupilles grises. Sa posture changea du tout au tout. Il se crispa sur sa chaise. Son regard devint ténèbres et sa mâchoire se contractait frénétiquement.

Quelque chose le contrariait.

Je pouvais le sentir.

A des kilomètres.

En étais-je la cause?

Probablement, répondit la petite voix au fond de moi, celle qui était brusquement apparut durant mes longs mois de captivité et qui ne m'avait pas quitter depuis.

Se pourrait-il qu'il déteste les esclaves?

Comme tous les maîtres à mon avis.

Et moi qui avais eu l'imprudence de l'observer.

Était-ce un affront qu'à Palanques on ne pouvait laisser passer?

Je paris que tu ne tiens pas à le savoir!

Je baissai les yeux sur-le-champ.

Ma Lyn t'a trompé, continua ma meilleure amie. Le frère de Mlle Lorys n'est pas «très gentil» du tout. Vois comment il te regarde. Je suis sur qu'il te fouettera pour ton insolence!

A cette pensée, mon palpitant s'échappa de ma poitrine. Ayant déjà subis la torture du fouet, j'étais bien placée pour savoir que c'était un supplice ignoble, qui laissait des marques atroces sur le corps et des séquelles indélébiles dans l'âme. Je n'aurais pas infliger un tel châtiment à mon pire ennemi. S'il me fallait subir à nouveau ce supplice je n'y survivrais pas. 

J'eus soudainement la sensation que l'air se raréfiait autour de moi et me mis à mal respirer. Mon cœur battait fort dans ma tête et ma meilleure amie devenue folle ne cessait de psalmodier:

Quitte cet endroit!

Quitte cet endroit!

Quitte cet endroit!

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant