Chapitre 37

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Ysaé


Je pénétrai dans la cuisine à la suite de Shakur. Une odeur délicieuse de viande rôtissant sur la broche embaumait l'air. Une table occupant l'espace central croulait sous toute sortes de préparations culinaires. Dans un coin une servante édifiait artistement une pyramide de fruit et plusieurs autres esclaves s'affairaient dans la large pièce telles des fourmis pressées.

-Tout le monde Ysaé, Ysaé tout le monde, lança Shakur à la ronde.

Des bonjours fusèrent ça et là, auxquels je répondis, et quelques regards m'observèrent avec curiosité.

-Zeke, comment vas tu, dit Shakur en se dirigeant vers l'homme qui arrosait de sauce la viande qui tournait lentement sur la broche.

-Ça va, comme tu le vois.

-Et ta femme?

-En pleine santé grâce à Dieu. Si quelque chose devait arriver à ma Sally, j' saurais pas quoi faire pour sur non, dit-il subitement triste.

Shakur me lança un sourire qui laissa apparaître une fossette sur sa joue.

-Le bébé est arrivé? Poursuivit-il en reportant son attention sur Zeke.

Une lueur éclaira le visage buriné de l'homme.

-Il y a deux semaines de cela. C'est une p'tite fille. Aussi belle que sa mère.

-Eh ben, L'Éternel lui a fait la grâce de ne pas ressembler à son affreux père, alors. C'est un véritable miracle! Lança Shakur.

Un rire puissant secoua Zeke de la tête aux pieds.

-Ça doit être sûrement pour ça qu'elle s'appelle Grâce répondit-il.

Nous rigolâmes de concert, puis Shakur dit à voix basse:

-Où sont-ils?

L'homme répondit en l'imitant

-A l'endroit habituel.

-Suis-moi, me chuchota Shakur en me prenant par la main.

A l'extérieur, nous contournâmes la cuisine, puis coupâmes à travers un petit bois où nous marchâmes pendant une bonne dizaine de minutes en accélérant le pas. Lorsque nous longeâmes un ruban de marécages qui filait tout en longueur, j'interrogeais Shakur.

-Ou allons-nous?

-C'est un secret, répondit-il.

-Et si mademoiselle me demande? Interrogeais-je alarmée.

-Ne crains rien, nous reviendrons à temps. De toute façon ils en auront pour des heures à déjeuner de leurs petits plats succulents.

-Et si Mr Salvor s'aperçoit de ton absence? N'as tu pas peur qu'il te fouette?

-Il ne me fouettera pas. Il l'a jamais fait. Nous avons grandis ensemble et même si je suis fils d'esclave et lui fils du maître, une amitié sincère nous lie. Quand bien même je lui en voudrais toujours de t'avoir marquer. Ils sont là, continua t-il. Tiens-toi en retrait et n'ouvre surtout pas la bouche.

Nous étions arrivés dans une clairière remplit de bosquets de pommiers sauvages. Une vielle bâtisse abandonnée projetait un clair-obscur assez grand dans l'ombre duquel se trouvait une dizaine de personnes réunies. Des hommes, des femmes, chacun accueillant Shakur à sa manière.

-Ça fait dix minutes qu'on t'attends! Dit l'un.

-Quelles sont les dernières nouvelles? s'écria une autre.

-Je devrais déjà être de retour! S'énerva un troisième.

-Si je me fait fouetter à cause de toi, la prochaine fois qu'on se voit, je te casse la gueule, dit un quatrième.

-Mais t'étais où bordel, dit un cinquième.

Sans se déboussolé, Shakur prit place au milieu des palabres. De façon si naturelle que je le soupçonnai d'en avoir l'habitude. Soutenant les regards de ses interlocuteurs, il prit la parole. Le silence s'abattit et tout les yeux se rivèrent sur lui.

-Merci à tous d'être venus.

-Merci à tous d'être rester! Ironisa une voix.

Des gloussements fusèrent ça et là.

-Je sais que nous sommes dans des temps critiques enchaîna Shakur, mais j'ai une bonne nouvelle. La loi qui voulait renforcer la présence des soldats afin de mieux contrôler les routes du territoire, par un incroyable concours de circonstances, n'a pas pu être votée. Il semblerait que celui qui demeure dans le ciel nous ait à la bonne.

Tous hochèrent la tête.

-Mais les esclavagistes voteront cette loi, tôt au tard! Dit une femme.

-Exactement, enchérit une autre.

-Qu'est-ce qu'on fera dans ce cas là? Demanda un jeune homme.

-On ne change rien tant que la loi ne sera pas votée. Lorsqu'elle le sera on avisera, dit Shakur avec une confiance inébranlable. D'ici là, je vais avoir besoin de chacun de vous. Dans peu de temps, une récolte de maïs s'imposera, lâcha t-il d'un ton solennel.

Une effervescence commença à agiter l'assistance.

-Quand? Lança un homme.

-Samedi en quinze.

Il y eut des murmures.

-On sera prêt! Dirent plusieurs voix en même temps.

-Vous recevrez bientôt des instructions.

Personne ne demanda plus de détails. Apparemment ils savaient tous à quoi s'en tenir.

-Restez sur vos gardes les amis, continua Shakur. Notre mission est dangereuse. Nous savons tous ce qui nous risquons s'ils découvrent que nous aidons les nôtres. Mais n'oublions pas une chose, c'est qu'ensemble nous serons toujours plus forts, ajouta-t-il en baissant sa tête et en levant son poing refermé.

La dizaine de têtes se baissèrent et autant de poings fermés s'élevèrent à leurs tour. 

Puis chacun regagna sa plantation dans le silence le plus absolu.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant