Chapitre 91

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Ysaé


                                                                                   Pa est mort.



                                                                                              ***


Je ne parvenais pas à me faire à cette idée.

Chaque seconde qui s'écoulait face à cette horrible réalité était une torture. 

Et au fil du temps qui passait, j'avais de plus en plus de mal à refréner l'ouragan qui me ravageait. 

Mr De brym ordonna à deux esclaves de détacher Pa. 

Émergeant tant bien que mal de leur inertie, le premier saisit les pieds de Pa tandis que le second montait dans l'arbre pour le détacher. Il leurs fallut un temps interminable pour le dé pendre. Finalement, ils réussirent et le couchèrent sur le sol. 

Ma s'allongeant sur lui, posa doucement la tête sur son torse en répétant comme une litanie,

-Yakob, réveille toi. Tu ne peux pas me faire ça. Tu ne peux pas!

Comme si ça pouvait le ramener à la vie.

J'entendis Mr De brym s'adresser au Supérieur qui avait fouetté Pa.

-La place de contremaître est à vous si vous le souhaitez, Mr Waters.

-C'est beaucoup d'honneur que vous me faite là, Mr De brym. J'accepte volontiers. Le Capitaine était un de vos meilleurs hommes. J'essayerais de m'en montrer le digne successeur.

-Il vous faudra rapatrier sa dépouille et dédommager sa famille pour sa perte.

-Ce sera fait, Mr De brym.

-Combien d'hommes avez vous lancez à la poursuite de Shakur?

-Quatre, Monsieur.

-Ce ne sera pas suffisant. Shakur est malin. Il sait lire et écrire. Il connaît les environs comme sa poche. Allez à Palanques et engagez Donald, c'est lui le meilleur chasseurs de nègres. Je veux qu'il ramène Shakur vivant. Vous m'avez compris, VIVANT!

-Oui Mr De brym!

-Suivez moi dans mon bureau. Je vous donnerais une lettre que vous porterez au gouverneur et vous....

Les paroles de Mr De brym broyèrent mon abdomen.

Ils étaient une preuve supplémentaire s'il en faut, de notre position d'infériorité. Nous n'étions rien d'autre à leur yeux que des animaux. A cette distance, je pouvais discerner la férocité sur les traits du tout nouveau contremaître et de ses hommes qui s'en allaient exécuter les sinistres ordres de Mr De brym avec un engouement malsain. C'était des prédateur qui adoraient la chasse.

Je ne comprenais pas d'où leur venait leur haine. Je ne comprenais pas ce que les gens comme moi leurs avons fait pour mériter autant de mépris de leur part. Comment arrivait on à détester quelqu'un, à ce point, juste pour quelques nuances plus foncé sur sa peau. Ils nous haïssaient. Et ça suffisait largement pour qu'ils laisse déferler sur nous toute leur rage et leur cruauté.

Autant de haine ne pouvait que corrompre et flétrir l'âme de ceux qui s'en nourrissaient. Et tôt ou tard ils allaient devoir en répondre. En quelque part ce constat me réchauffa le cœur. Personne ne fuyait son destin, comme aucun être humain n'échappait à la mort, ni comme aucun mort ne se soustrayait au jugement. Nous les nègres comme ils nous appelaient, savions cela. Et j'espérais de tout mon cœur qu'ils souffriraient autant que ce qu'ils avaient fait souffrir mon peuple lorsque celui qui donne le souffle de vie leur demanderait des comptes. Car tout être humain devrait rendre des comptes, tôt ou tard.

Risquant un coup d'œil autour de moi, mon sang se transforma en un million d'aiguilles qui transpercèrent mes nerfs, alors que je me figeais sous le regard intense et glacial de Salvor. Ses yeux pesaient tellement sur moi, que j'avais l'impression qu'ils s'incrustaient sous ma peau et me brûlait. Je serrai la mâchoire en reportant toute mon attention sur Ma. Elle continuait sa litanie inlassablement, alors que les esclaves s'étaient mis à plusieurs pour ramener le corps de Pa dans sa case. 

Je les suivis en m'efforçant de ne pas verser les larmes qui menaçaient de couler. Mes paupières papillonnaient. Complètement désorientée, j'oscillai comme un homme ivre. J'enfonçai mes ongles dans mes paumes. J'avais une terrible envie de disparaître. M'envoler dans le vent aurait été un soulagement précieux en ce moment, une sorte d'échappatoire de cet enfer.

J'entendis mon prénom dans sa bouche.

Je me mordis l'intérieur de la joue, la douleur me recentrant.

Il m'appela encore. 

Mais je n'en avais cure. 

Ma place était auprès des miens. Si il avait un problème avec ça, il n'avait qu'à me tuer moi aussi. 

Regardant le ciel, je priai pour qu'il ne m'appelle pas à nouveau. 

Prenant une profonde respiration, je continuais de marcher à la suite des esclaves. 

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant