Partie 7

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Salvor


Je trouvai refuge dans le bureau de mon père. Pourtant cet endroit, je le détestais. C'est dire l'état de confusion dans lequel je me trouvais. Terriblement austère, cette pièce me rappelais les fois où mon paternel m'y convoquait pour exiger des comptes sur ce qu'il considérait être de mauvais résultats.

Le regard aussi froid que la glace, Mr Nicholas De brym, du haut de son fauteuil, prenait un malin plaisir à me fixer dans un silence qui s'alourdissait au fil des secondes qui passaient. Puis une fois la tension au niveau de paroxysme qui lui convenait, il inspirait lentement avant de me balancer sans qu'aucune émotion ne transparaisse sur son visage,

-Tu es mon fils unique. Un jour, tout ce que je possède sera à toi. Tu dois comprendre que tu dois être le meilleur!

Je répondais toujours par un simple oui de la tête car plus que tout, je craignais de décevoir ce père pour lequel j'éprouvais autant de crainte que de vénération. Par la suite, je redoublais d'efforts pour obtenir d'excellents résultats. Mais quand bien même j'accomplissais l'exploit de dépasser ses exigences, ça n'était jamais suffisant.

Jamais.

Tournant le dos au reste de la pièce qui disposait d'un grand bureau, de deux fauteuils, d'un bar, d'une bibliothèque et de deux vitrines en noyer vitré remplit de documents en tous genres, je me dirigeai en soupirant vers une des immenses fenêtres. Écartant les pans du rideau sombre et épais qui l'habillait, je restai là, à m'abîmer dans la contemplation du paysage extérieur. 

D'ici la vue coupait le souffle. Les prairies verdoyantes, la foret luxuriante avec son lac scintillant, tout dans le décor du domaine imprimaient directement l'âme. Ma famille était l'une des plus fortunées de Palanques. Elle possédait l'un des plus grand domaine du pays qui s'étendait sur plusieurs milliers d'hectares avec son immense plantation de tabac qui nécessitait pour son bon fonctionnement le travail de trois cent esclaves. Je ne comptais plus le nombre de fois où mon père m'avait raconter l'histoire du père de son aïeul, fondateur de notre dynastie. Qu'orphelin des rues, ce dernier avait tout jeune su forcer son destin, que sa rage de vivre étant plus puissante que sa morale, il s'était rapidement fait repérer par les familles dominantes de Palanques qui avaient tout fait pour s'attribuer ses services. Qu'au fil des années, il s'était hissé au sommet en effectuant pour eux tout un tas de petits trucs dangereux et que bien des années plus tard, à force de complots, de chantages et de manigances, il avait finit par s'imposer et intégrer le conseil suprême de la ville pour ensuite posséder l'unique plantation de tabac de luxe de tout le pays, que les générations des De brym après lui, dirigeaient tout comme leur maison et leurs esclaves, d'une main de fer. 

Fatalement mes pensées dérivèrent vers l'esclave de ma sœur. Toute en courbes délicates, avec son visage harmonieux, ses deux tresses tombant sur ses épaules, sa peau sombre qui transparaissant au travers du fin tissu de sa tunique et ses prunelles ébènes hypnotiques qui invitaient irrémédiablement à sombrer avec elle. C'était une très belle femme, je devais le reconnaître, et ce même si sa couleur de peau rebutait. 

Mon sang s'échauffa en voyant son image danser devant mes yeux. C'était bien la première fois de ma vie que le souvenir d'une femme me poursuivait ainsi. Je me sentais comme prisonnier de son regard profond et les réactions violentes que cela suscitait dans mon être ainsi que la chose sombre, inqualifiable, qui s'était réveillée à l'instant où son corps avait frôler le mien, me scandalisait. 

Fermant les yeux, je pressai mon front contre le mur froid, assez fort pour me faire mal. Il fallait impérativement que je me calme et que j'érige une barrière autour des émotions tumultueuses que l'esclave avait fait naître en moi. Sinon ce serai la pagaille dans ma tête anarchique. Et bordel, voilà ce qui allait poser un vrai problème. 

M'éloignant de la fenêtre, j'allai me servir un verre. Avalant une longue rasade du liquide ambré qui mit le feu dans ma gorge, je m'installai dans le fauteuil derrière le bureau et obligeai mon esprit à se focaliser sur le travail qui m'incombait.

Concentre-toi bon sang!

Mais malgré mes efforts, je ne pu rassembler mes pensées plus d'une minute. L'image de l'esclave restait imprimer sur mes rétines. Je cru même sentir son parfum flotter autour de moi.

Je ne pensais pas avoir déjà sentis une telle fragrance sur une femme.

Mais que m'arrivait-il?

Bordel! Criai-je, les tripes en feu.

Il me fallait un dérivatif, là tout de suite. Pour m'empêcher de penser. Malheureusement étant sur la plantation, je n'avais aucun moyen de m'adonner à mon exutoire, à savoir la boxe, que je pratiquais lorsque j'étais en ville.

Merde, merde, merde.

Je grognai de frustration. Ce sport était essentiel pour mon équilibre mental. Parce que non seulement il fallait être suffisamment malin pour anticiper les coups de l'adversaire et bestialement animé pour encaisser ceux qu'on n'avait pas vu venir, il restait l'unique moyen qui focalisait mon esprit au point de canaliser les ombres qui me hantaient en permanence. Entendre les os craquer, voir le sang couler, donner et recevoir des coups, il n'y avait que ça qui depuis le terrible accident de calèche dans lequel j'avais été témoin de la mort de ma mère, m'aidait à supporter l'anarchie qui sévissait dans ma tête. 

Quelqu'un frappa à la porte du bureau, ce qui me fit sursauter, m'obligeant ainsi à remettre de l'ordre dans le désordre de mes pensées.

-Entrez! Aboyai-je

Vêtu d'une chemise crème, d'un pantalon marron et de plusieurs longues tresses collées sur le crane, Shakur pénétra dans la pièce.

-Tempête est sellé, Monsieur. Annonça t-il.

-Ah, merci bien.

-Je peux faire autre chose pour vous ?

-Non merci. Tu peux disposer.

Avalant d'un trait le reste de ma boisson, je me rendis dans mes appartements pour revêtir ma tenu d'équitation. 

Il fallait immédiatement que je cesse de penser à cette esclave. A cet être insignifiant. A cette femme à la peau ridiculement sombre qui avait percuté quelque chose en moi. 

Et rien de mieux pour cela à défaut d'une harassante séance de boxe, qu'une longue chevauchée à travers les immenses bois de mon domaine. 

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant