Chapitre 84

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Ysaé


Un nuage sombre planait au-dessus de la tête de tous les esclaves du domaine. 

Mr De Brym était revenu. 

Ma avait les nerfs en pelote. Assise sur une chaise autour de la table de la cuisine avec Pipa entrain de frotter énergiquement l'argenterie, elle avait l'air encore plus malheureux que d'habitude. 

Je savais que le retour inopiné du maître n'était pas la seule cause de son désarroi. La relation pour le moins ambiguë, malsaine et scandaleusement offensante que j'entretenais avec Shakur et Salvor, en était pour beaucoup. 

La culpabilité me vrilla l'estomac. Cela faisait des semaines maintenant que Ma ne me parlait pas. Elle ne m'ordonnait pas de la laisser tranquille en riant. Quand j'entrais dans un pièce dans laquelle elle se trouvait, elle partait. Elle ne me regardais même pas. Elle ne me demandait plus de venir dîner dans sa case et ne venait pas me voir dans ma chambre.

Je pris le parti de lui laisser du temps comme la grosse Betsy me l'avait conseillé, quoique cela me fit souffrir énormément. Inutile de la forcer si elle ne voulait pas de moi. Cependant, l'isolement qu'elle m'imposait, m'écrasait. Elle était comme une mère pour moi et sa compagnie me manquait terriblement.

Assise de l'autre coté de la table, au lieu d'effectuer mon travail, à savoir, remplir les bocaux ronds de confiture de surettes et ceux carrés, de confiture d'ananas, je préférai contempler le profil harmonieux de Ma. Sa peau couleur miel, ses lèvres charnues, l'impétuosité de ses cheveux châtain maîtrisée tant bien que mal par un foulard orange, me fascinaient. 

Se sentant observée, elle tourna légèrement la tête et ses yeux dorés s'ancrèrent dans les miens. L'apaisement remplaça la colère. La bienveillance remplaça l'indifférence et le pardon remplaça la rancune. Une lueur d'amour s'attarda dans ses prunelles dorées cependant qu'un sourire crispé étirait ses lèvres. 

Une vague d'émotion me submergea en voyant cela. Et tandis que je lâchai la cuillère de confiture dans la casserole pour me précipiter vers elle, elle se leva d'un bon, me coupant net dans mon élan.

-Finis de polir l'argenterie, s'adressa t-elle à Pipa. Ensuite range le.

-Bien, répondit Pipa.

-Je dois y aller, souffla t-elle à l'intention de la grosse Betsy qui lui répondit par un simple hochement de tête. Mr De brym m'attends.

-Puis me jetant un dernier sourire, elle quitta la cuisine.

Lorsqu'elle disparut, je retournai à ma corvée complètement déboussolée. Mes épaules s'affaissèrent. Sous l'incompréhension de ce qu'il venait de se passer je me mis à respirer vite et fort.

Mon cœur me faisait mal et je n'avais qu'une envie, me fondre dans la terre et disparaître à mon tour. 


                                                                                                      

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