Chapitre 20

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Ysaé


Phil emprunta un petit chemin qui s'enfonçait dans la foret. La végétation y était impressionnante. Des oiseaux poussaient des cris à notre approche et les bruissements qui provenaient des bosquets signifiaient que des animaux pas très commode s'y cachaient. Au bout de plusieurs kilomètres, le chemin s'élargit pour former une sorte de clairière. Au fond, un petit lac était alimenté par une jolie cascade qui coulait depuis une petite montagne. L'endroit était à couper le souffle. Phil gara la charrette et nous nous installâmes dans un petit coin à l'ombre d'un chêne. Je proposai à mademoiselle de l'emmener se rafraîchir au bord de l'eau mais elle décréta qu'il faisait encore trop frisquet à son goût.

Je soupçonnais au contraire qu'elle ne voulait pas mettre à nu ses jambes atrophiés. Elle était née comme cela m'avait-elle dit un jour, avec des jambes noueuses qui ne pouvaient pas la porter. Je pris donc sur moi, quand bien même mon épaule me faisait encore souffrir, de transporter un peu d'eau du lac dans un récipient pour rafraîchir les jambes de mademoiselle.

Nous restâmes là, allonger sur l'épaisse couverture, nous contentant de dévorer le contenu du panier de Betsy, que nous partagions avec Phil qui s'obstina à rester dans la charrette.

-Phil préfère rester dans la charrette, dit mademoiselle Lorys sur le ton de la confidence, parce que cela lui permet de se reposer du travail des champs.

-Ma Lyn dit que le travail dans les champs est terrible et harassant pour les esclaves, répondis-je en l'imitant. Mais je ne sais pas. Je n'ai jamais travaillé dans un champ.

-Elle dit vrai. Un jour alors que mon père était absent, le capitaine Hardy était venu se plaindre auprès de mon frère, disant que certains esclaves se mutilaient volontairement pour échapper au travail des champs et qu'il avait besoin de son accord pour leurs administrer des punitions exemplaires, qui les empêcheraient de recommencer.

-Mon Dieu, m'écriais-je, secouée par la perfidie du capitaine Hardy.

-Salvor avait répondu au capitaine que jamais il ne lui donnerait son accord pour cela et que si les esclaves se mutilaient pour échapper au travail des champs, c'était parce qu'il ne devait pas les traiter correctement. Car personne ne pouvait volontairement s'infliger ce genre de blessures. Le capitaine avait rétorqué en disant que si mon père était là, lui, les aurait punit comme il se doit. Et mon frère avait répondu au capitaine que le jour où il dirigerait la plantation, il le jetterait à la porte s'il apprenait qu'il avait torturé ses esclaves et qu'en attendant il ferait bien mieux d'obéir à ses ordres. Le capitaine avait regardé Salvor comme si il voulait lui sauter dessus!

-Alors il semble que nous devrions permettre à Phil de se reposer du travail des champs déclarais-je solennelle.

-Et pour un bon repos, il semblerait que Phil aura besoin de toute l'après midi, lança t-elle de même.

A un moment donné, je remerciais mademoiselle de ne pas m'avoir reprocher ma fuite et le vol de sa bourse pleine d'argent, que j'avais perdu. Cela faisait deux jours maintenant et pas une seule fois son attitude à mon égard n'avait changé.

-J'ai préféré m'abstenir pour ne pas te faire plus de peine, dit-elle. Mais j'ai eu du chagrin que tu veuilles me quitter. Et puis j'ai réfléchis, et je me suis dis qu'à ta place j'aurai probablement fait pareil.

Nous passâmes le reste de la journée agréablement, à rire ensemble et à se confier des petits secrets sans importance. Quand il fut pour nous l'heure de rentrer, nous partîmes à regret, en jurant d'aller le plus souvent que possible au lac pour permettre à Phil de se reposer du travail des champs. Une fois dans son lit, après lui avoir fait enfiler une chemise de nuit propre, ma maîtresse emmitouflée dans ses draps frais, s'endormit comme une souche, le sourire aux lèvres. Quand ce fut à mon tour de m'allonger dans le mien, je fus étonnamment surprise de trouver un sourire sur mes lèvres à moi aussi.


                                                                                                    ***

Les jours qui suivirent la journée au lac, je m'immergeai totalement dans mes corvées, passant mes journées avec ma maîtresse, m'efforçant de reléguer au loin mon envie de fuite dans l'attente d'un moment plus propice au marronnage. Mon dos cicatrisait grâce aux soins de la grosse Betsy. Mais la rage que je ressentais à l'encontre de Mr Salvor qui avait exigé que le capitaine me marque comme un animal, elle ne disparaissait pas. 

Un matin, alors que je pénétrai dans la cuisine pour préparer le déjeuner de mademoiselle, je surpris Ma Lyn et la grosse Betsy en pleine discussion. Ce fut à cet instant là que je réalisai que ce n'était pas la première fois que je les voyais ainsi. La seule différence était que cette fois-ci Ma Lyn pleurait. Tout comme la première fois, je n'avais pas la moindre idée de ce qui se passait. Et ne pas pouvoir l'aider me retournait le ventre. Peut-être que l'absence de Shakur lui pesait, pensai-je. M'éclipsant discrètement pour ne pas les déranger, je me promis de demander à mademoiselle Lorys la permission d'aller plus tard chez Ma pour la réconforter et dormir avec elle et Pa, cette nuit.


                                                                                                       ***

Des éclats de voix étouffés s'échappaient de la cabane de Ma au moment où je m'en approchai. Je me faufilai subrepticement par la porte entrebâillée, et vis Pa Yakob et Ma assis autour de la table entrain de discuter. La colère qui émanait de Pa rendait l'air pesant. Et quand il se leva, sa chaise s'écrasa sur le sol derrière lui.

-Je n'arrive plus à le supporter! Cria t-il

Ma qui avait ses coudes sur la table et la tête enfouit dans ses mains répondit à travers ses doigts.

-Ça a toujours été comme ça. A chaque fois qu'il est là, il me veut auprès de lui.

-Mais ça fait des jours que t'es auprès de lui! Un de ces jours tout ça finira mal. Je te le dis!

Pa passa devant moi comme si il ne m'avait pas vu. Lorsque la porte claqua derrière lui, je me précipitai vers Ma.

-Que fais tu là me demanda t-elle étonnée. Pourquoi tu n'es pas auprès de mademoiselle Lorys?

-Mademoiselle m'a donné l'autorisation de passer la nuit avec vous.

-Non, lança t-elle en se levant. On ne peut pas rester ici.

-Mais pourquoi?

-Parce que toi et moi somme obligées de rester dans la grande maison, répondit-elle irritée.

Je suivis Ma à l'extérieur de la cabane lorsqu'un grand bruit nous fit sursauter toutes les deux. Pa était entrain de s'acharner à frapper sur une vielle tôle ondulée.

-C'est Pa qui construit la cage à lapin que je lui ai demandé murmura Ma. Yakob, appela t-elle doucement. Yakob?

Les coups de marteau s'arrêtèrent. Mais pas un instant Pa ne releva la tête vers elle.

-Je t'aime, souffla t-elle.

Les pleurs de Ma résonnaient dans le silence alors que l'estomac serré, j'empruntai à ses cotés le chemin qui conduisait à la grande maison, en me demandant si ils étaient tous devenu fou.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant