Chapitre 44

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Ysaé


Le soleil était haut dans le ciel, pourtant l'air frais piquait le visage. Je poussai la chaise de Mlle le long d'un sentier pentu jusqu'à une petite clairière. L'endroit semblait triste et abandonné. Des mauvaises herbes étouffaient une pierre tombale, rendue grise par le temps et le manque de soin.

-Cela fait des années que je ne suis pas venu ici, éructa ma maitresse. 

-Il faudrait nettoyer la tombe et l'embellir en y mettant des fleurs, dis-je tout en arrachant les branches d'herbes sèches qui cachaient le nom de Mme Rossa De brym.

-Et faire une petite place à coté pour que toi aussi, tu puisses avoir un endroit où honorer tes morts.

Je serrai la main de Mlle Lorys en guise de remerciement. Nos larmes coulant, chacune soutenait l'autre. Nous restâmes là un temps indéterminé devant la tombe de sa mère, nous recueillant dans le silence. Soudainement ma peau se constella de chair de poule. L'air se chargea de sa présence et je su qu'il était là. Levant les yeux je le vis, étonnée de la facilité avec laquelle mes yeux le trouvèrent, debout dans l'ombre d'une haie, au loin. Il m'avait jeté un sort, c'était obligé. Car de là où je me trouvais, je pouvais ressentir son immense souffrance comme si c'était la mienne et tout ce que je désirais malgré tout ce qu'il représentait et tout ce que ça signifiait, était....de le consoler. Et puis en un battement de cil, il disparu. Je ne le vis même pas s'éloigner. Il était là. Puis il ne l'était plus.

En redescendant la colline pour entrer, Mlle Lorys lâcha dans un hoquet prêt de se transformer en gros sanglot:

-Il ne manquait que Salvor!

-Il était là, murmurais je à son oreille pour la tranquilliser.

-Ah bon, demanda t-elle les yeux subitement pétillant.

-Oui, je l'ai vu.

-Où?

-Il se tenait à coté de la haie de thuyas. Mais je crois que nous ferions bien de garder cette information pour nous.

-Salvor a toujours été comme cela. Il garde tout pour lui, ses sentiments, ses émotions. Il était très proche de maman et sa mort l'a détruit. Il était avec elle le jour de l'accident. Mais il a toujours refuser d'en parler. Il renferme tout. C'est comme cela qu'il se protège.

Nous étions arrivées au niveau de la dépendance lorsque Ma nous intercepta. Scrutant nos yeux rougis elle annonça:

-Venez dans la cuisine mes enfants, la grosse Betsy a préparer une petite surprise pour vous.

Je la regardais septique.

-La grosse Betsy? Préparer une petite surprise? Pour nous? N'aurait elle pas plutôt mit à bouillir de l'eau avec laquelle elle compte m'ébouillanter, demandais je caustique, sous les rires de Ma Lyn et de Mlle Lorys.

Un joli service à thé en porcelaine parsemé d'iris et de mimosa était dressé lorsque toutes les trois nous priment place autour de l'immense table de la cuisine. La grosse Betsy déposa un gâteau à l'orange au centre d'une nappe bleu ciel en me toisant. Je su immédiatement où avait fini mon jus d'orange plein de zeste.

Ma nous servit une généreuse tanche de gâteau avec un thé fumant. La grosse Betsy s'assit avec nous.

-Rien de tel qu'une part de gâteau à l'orange et un thé d'hibiscus/groseille pour chasser les chagrins, lança Ma, théâtrale.

Nous dégustâmes la collation dans une ambiance agréable. Pipa, Mabel et George ne tardèrent pas à se joindre à nous. La grosse Betsy racontant plein de méchancetés sur Reynolds, nous fit mourir de rire dans son imitation du Majordome qui se prenant pour le plus beau des paons, ressemblait plutôt à une cane ayant un œuf coincé dans le fion. C'était sa manière à elle de se venger de lui car il avait décliner son invitation à manger du gâteau à l'orange. 

Tout à coup, le bruit d'une cavalcade enragée nous fit sursauter. En un battement de cil, Pipa, Mabel et George détalant comme des rats regagnèrent la grande maison. Ma, la grosse Betsy, et moi poussant la chaise de Mlle, sortirent voir ce qui causait tout ce raffut. Le capitaine et ses Supérieurs galopaient dans un nuage de poussière. A croire que c'était leur marque de fabrique. En tête de cortège, le chef des Supérieurs faisait claquer son fouet, imiter de près par plusieurs de ses coreligionnaires. Mademoiselle poussa un petit cri lorsqu'en sautant à bas de sa monture, le capitaine ne se rompit malheureusement pas le cou, mais se dirigea droit sur nous, la folie se lisant clairement dans ses yeux porcins.

-Mais qu'est-ce qu'ils fabriquent ici, demanda Ma.

-Mais qui dirige l'Enfer pendant qu'ils sont ici?! Cracha la grosse Betsy.

Le capitaine approchant, aboya à Ma:

-Je suis venu te rafraîchir la mémoire et te dire que je n'ai pas oublier que toi et ton homme êtes venu semer la pagaille parmi mes esclaves à peine notre maître avait-il son pauvre dos tourner. Mais j'ai une bonne nouvelle pour toi. Il se pourrait que toute cette foutue histoire ne lui soit jamais rapporter et que je me taise à tout jamais. Mais pour ça vois tu, dit-il en réajustant son pantalon sur sa grosse bedaine, il va falloir payer le prix!

Il se tourna vers moi. Et là je manquai de vomir quand je l'entendis:

- A moins que tu ne sois gentille avec moi, Ysaé, Pa sera fouetter jusqu'au sang et Belle sera pendue pour son sale petit secret d'écriture!

Ma trembla de tout son corps. Mais la surprise vient de Mlle Lorys qui hurla:

-Vous n'avez pas intérêt à mettre vos sales pattes de cochon en chaleur sur Ysaé!

-Sinon quoi, ironisa le capitaine un tantinet surpris.

-Sinon vous allez le regretter!

-Et comment comptez me faire regretter, Mlle De brym? En fauteuil roulant? Ricana t-il.

-Non cracha t-elle. Je demanderais à mon frère de vous tuer. Tout simplement!

Le capitaine remonta en selle en riant, mettant ainsi ses chicots jaune à lablanie.

-Ma patience à des limites, balança t-il en partant, ses Supérieurs sur ses talons.

-Ma, Pa doit être mit au courant des menaces du capitaine, dit la grosse Betsy affolée, quand ils furent hors de vue.

-Personne ne dit rien à Pa! Ni à Shakur. C'est compris, cria Ma en rentrant dans la grande maison.

Nous la suivîmes, la grosse Betsy bougonnant.

-Toi, t'as intérêt à faire gaffe au capitaine! me lança t-elle alors que je ramenais Mlle Lorys dans sa chambre.


Un lien d'amitié sincère et fort s'était créé entre Mlle Lorys et moi ce jour là. Au moment de l'installer dans son lit, elle m'avoua croire dure comme fer que c'était la Providence qui nous avait réunies. Qu'elle voyait en moi une amie sur qui elle pouvait compter, qui l'aidait à surmonter la solitude dans laquelle la maintenait son handicap et qu'elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour me protéger du capitaine. 

Ma compagne de calvaire tapit au fond de moi, verte de jalousie, rétorqua que dans tout cela la Providence avait bon dos et que même si j'éprouvais pour Mlle une profonde affection, je n'avais pas intérêt à oublier qu'elle était là la première et qu'elle ne céderait sa place à quiconque. 

Sans se rendre compte de la dualité que ces paroles avaient engendrés en moi, Mlle Lorys continuait de me serrer les mains de toutes ses forces, me faisant les larmes aux yeux, la promesse de toujours rester mon amie.

Après que ma maîtresse se soit endormie, je refusais de me rendre au pavillon comme Mr Salvor l'avait exigé ce matin, préférant et ce, malgré les risques que je savais encourir en lui désobéissant, rester auprès de ma maîtresse au cas où elle aurait besoin de moi durant la nuit.

 Debout dans la pénombre dans ma chambre, je rangeais quelques effets personnels tout en repensant à notre déclaration d'amitié, sans savoir que des années plus tard, j'allais et de la plus cruelle des manières, piétiner la promesse que nous venions de nous faire.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant