Chapitre 93

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Salvor


Lorys et moi restions résolument éloignés du groupe des esclaves qui enterraient Pa. 

Non pas parce que nous ne voulions pas nous mélanger à eux. Au contraire. C'était juste que nous souhaitions leurs manifester notre respect et notre soutient sans pour autant interférer dans ce moment douloureux, qui nous le savions bien leur appartenaient à part entière.

Ma sœur et moi avions connu Yakob toute notre vie. Et sa mort était insupportable pour nous aussi. Mainte fois il nous avait été d'un grand secours. 

La venue au monde de Lorys s'était faite dans la douleur et la peur. Et ma mère dont mon père se trouvait à Palanques à ce moment là avait bien faillit ne pas s'en sortir. Tout ça parce que bébé Lorys surprenant tout le monde était arrivé deux mois plus tôt. Devant les déchirants cris de souffrance de ma mère, Yakob su que Man Jo, la femme-sage que Ma avait envoyé chercher, n'arriverait pas à temps et que si il n'intervenait pas, ma mère et le bébé perdraient la vie. Incitant Ma à prendre les choses en mains, Yakob au péril de sa propre vie, avait aidé à mettre au monde une Lorys qui était sortit dans une mauvaise position, les pieds tordus, le cordon enroulé autour du cou, mais bien vivante.

Et que dire de la fois où il m'avait trouvé près de la tombe de ma mère. J'avais onze ans. Mon père qui refusait que je garde quoi que ce soit en souvenir d'elle en jetant toutes ses affaires, m'empêchait également de me rendre sur sa tombe pour la pleurer. Ce jour là je lui avais désobéis, et était resté prostré longtemps près du caveau, à observer les roses, les fleurs préférées de ma mère, que j'avais apporté en guise d'hommage pour le premier anniversaire de sa mort. 

La bourrasque qui avait soufflé, plaquant mes mèches ébènes sur mon visage torturé par le chagrin, ne m'avait pas dissuader de m'en aller. Pas plus que le vent magistral qui mugissait entre les arbres, faisant voleter les feuilles mortes sur son passage. Ce ne fut que lorsqu'un mur de pluie se dirigea droit sur moi que je quittai l'endroit marchant aussi vite que me permettaient mes jambes. 

Mais la pluie étant plus rapide, en quelques secondes des trombes d'eau glacées s'abattirent sur moi sans pitié, rendant le sol glissant sous mes pieds. Le tonnerre fracassa au dessus de ma tête, me projetant au sol. Je dégringolai la pente en glissant, m'écorchant les bras, m'arrachant un ongle en essayant d'agripper les touffes d'herbes qui parsemaient le sol rocailleux. 

Le temps que j'atteigne le bas de la pente, le ciel était devenu si sombre que je ne distinguais plus le chemin menant à la grande maison. Les genoux et les mains écorchées, je saignais abondamment. Mon père allait me tuer en voyant l'état dans lequel j'avais mis mes habits à quelque minutes seulement du grand bal de fin d'année qu'il avait donné et auquel toute la bonne société de Palanques était conviée. 

Yakob m'avait trouvé tandis que je tachais de me relever maladroitement. Me soutenant, il m'avait aidé à marcher le long du sentier qui menait au domaine sans émettre le moindre mot. Me faisant entrer dans la grande maison par l'entrée des esclaves, il m'avait mener dans mes appartements où il avait pu me soigner et me faire changer de tenu. J'avais pu assister au commencement des festivités sans que mon père ne s'aperçoive de rien. 

Alors, oui, Lorys et moi éprouvions beaucoup d'affection pour Yakob. Et pas seulement parce que celui-ci nous avait maintes fois tirer d'un mauvais pas. Yakob avait le don de rassurer n'importe qui d'un simple regard, faisant voir le monde autrement qu'on le voyait.

-Père est un monstre, lâcha faiblement Lorys.

Un cri déchirant m'empêcha de répondre. C'était Ma, effondrée par terre comme si un tisonnier rougeoyant venait de s'enfoncer dans son cœur. 

Mon attention fut immédiatement attiré par Ysaé, debout à coté de Ma, dont les lèvres marmonnaient des paroles inaudibles. Le sang frappa fort dans ma tête au moment où je la regardai se détourner du groupe d'esclaves en faisant un pas, puis deux, puis trois.

Où pensait elle pouvoir aller nom de dieu!

Ne savait elle pas que les Supérieurs sillonnaient le domaine?

Le temps que j'interpelle Pipa pour lui demander de ramener ma sœur et me lancer à sa poursuite, Ysaé s'engouffrait déjà dans les bois. 

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant