Partie 4

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 Ysaé


Totalement désemparée, je suivis Ma le long du chemin de terre qui menait jusqu'à sa case. Construite en gaulette couverte de tuiles écailles avec un soubassement en maçonnerie, sa petite habitation pas trop éloignée de la gigantesque demeure des maîtres était entourée d'arbres feuillus.

-T'as intérêt à ce que tes pieds soient propres avant de rentrer dans ma case!

Je freinai des quatre fers et tapotai mes pieds nus pour les débarrasser de toute la poussière qui y était accroché. En franchissant le seuil, je me retrouvai dans une petite pièce dans laquelle il y avait une table en bois et quatre chaises avec un vaisselier d'un coté et de l'autre, un espace qui semblait être une cuisine ouverte où un feu crépitait doucement dans l'âtre. Ma avait disparue derrière un rideau de toile. Une vive appréhension noua mes tripes. Je ne savais pas si je devais la suivre.

-Viens par ici lança t-elle au bout de quelques minutes.

Des vêtements étendus sur des cordelettes pendait un peu partout. Une étagère croulait sous le poids de nombreuses fioles et autres babioles et un baquet dont l'eau se faisait chauffer par les rayons du soleil qui filtraient par la fenêtre, était posé au centre de la pièce.

-Enlevons toute cette crasse pour voir si tu ressembles à une magnifique petite chose ou à une vilaine panthère! Plaisanta Ma.

Me dépossédant de ma protection rêche, elle m'invita à entrer dans la cuve d'eau et s'appliqua à frotter chaque parcelle de mon corps meurtrit avec une brosse et du savon. Elle frottait si fort que je cru qu'elle allait arracher la peau couturée de mon dos.

-Comment tu t'appelles? Demanda t-elle dans une vaine tentative de me détourner du supplice subit.

Je voulu répondre mais ma voix refusa de sortir.

-T'en fais pas, vas. Tu me le diras quand tu te sentiras prête. Dit-elle en continuant sa besogne.

Et sans que je ne comprenne pourquoi j'eus soudain l'impression de lui devoir une réponse. Quelque chose chez elle que je ne pouvais expliquer m'inspirait confiance. Je me sentais comme en sécurité avec elle. Presque comme quand j'étais auprès de Amma.

-Ysaé, murmurais-je.

-Ysaé. C'est un très joli prénom que tu as là.

Après un instant d'un silence pesant, elle poursuivit.

-Pourtant il va falloir que tu l'oublie. Ici, les gens comme nous portent le nom que donne le maître.

Je fus saisis de stupeur. Après m'avoir tout prit fallait-il aussi qu'on me vole ce qu'il me restait de mon humanité? 

Mon nom?!

En plus de tout ce que j'avais subi cet ultime affront me paru insurmontable. Si je ne possédais plus mon nom comment Maé ferait-il pour me retrouver? La désolation s'abattit sur moi comme la pluie. Enfouissant mon visage dans mes mains, je demeurais prostrée, longtemps. Seul le bruit de la brosse de Ma qui raclait mon dos accompagnait mes sanglots.


J'avais la peau toute neuve après le bain. Et la sensation d'avoir perdu dix kilos au passage. Ma me donna un pantalon marron et une chemise beige toute usée qui autrefois avait appartenu à son fils Shakur. Une fois habillée, elle entreprit de démêler soigneusement avec un peigne et une huile de sa confection, chaque brin de ma chevelure épaisse qu'elle natta en deux longues tresses qui tombèrent sur mes épaules. Par la suite, elle m'invita à m'asseoir autour de sa table. De là, je l'observais s'affairer dans sa cuisine. Plongeant une louche dans une casserole, elle remplit un bol en bois puis le posa avec une cuillère devant moi. Je dévorai la soupe aux légumes fondants avant qu'elle ne revienne tenant à la main, un pain de maïs tout fumant et deux bocaux. Coupant une tranche de pain, elle l'enduisit d'une généreuse couche de beurre de cacahuète et de miel avant de me la tendre le sourire aux lèvres.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant