Chapitre 94

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Salvor  


Progressant à travers la foret, je réduisais drastiquement la distance qui me séparait d'Ysaé. 

Mes rétines ne divergeaient pas un seul instant de sa silhouette esquivant les arbres. Je ne voulais pas clore les paupières, pas même une seule seconde, de peur de la perdre de vue. Pourtant j'aurais très bien pu y aller les yeux bandés, Ysaé se dirigeait droit sur le mur d'enceinte du domaine. Je le savais, elle n'avait aucune échappatoire. 

Arrivé dans la petite clairière, j'avançai d'un pas sûr, conquérant, ne la lâchant pas du regard. Enlevant ses yeux sur moi, elle tenta de chercher une issue. Faute de mieux, elle recula jusqu'à ce que son dos heurtant violemment le mur d'enceinte la fasse grimacer de douleur.

 M'approchant lentement, je posai une main de part et d'autre de sa tête collée contre le mur, annihilant ainsi tout espoir de fuite. Lorgnant un instant ses lèvres entrouvertes en quête de souffle, je les quittai pour remonter plus haut et chutai dans l'opaque de ses yeux. 

Jamais elle ne m'avait paru plus belle qu'en cet instant, affolée, des mèches de cheveux s'échappant de sa tresse, la souffrance ravageant ses traits. Je n'eus qu'une envie, l'attirer contre moi, l'enlacer et goûter ses lèvres charnues car sa détresse décuplait mon désir. 

Désir vertigineux, que je tentais de réprimer de toutes mes forces, en essayant de le remplacer par la colère qui m'avait saisit depuis la découverte de sa honteuse trahison.

Le cœur accélérant, je restai silencieux, lui donnant la possibilité de parler la première, d'expliquer sa traîtrise ou de s'excuser à tout le moins. 

Pendant un instant, rien ne se passa. Ysaé continuait de m'observer intensément. Puis, la lueur impitoyable qui avait disparut dans ses prunelles quand je m'étais approché d'elle, flamboya de plus belle.

-Je te hais. Toi, et tous les tiens!

Elle avait murmuré ses mots si faiblement que je fus étonné de les avoir entendu à travers les battements erratiques de mon palpitant. 

Je n'eus pas le temps de réagir, son souffle saccadé frôlait mon cou. 

Incapable de résister à son attraction malgré la dague qu'elle venait d'enfoncer dans ma poitrine, je fermai les yeux, faisant tous mes efforts pour refouler l'horrible parole qu'elle venait de prononcer. 

J'avais terriblement envie de la prendre dans mes bras, de la consoler de la souffrance phénoménale qui la ravageait et qui lui faisait dire des mensonges. 

Parce que c'était des mensonges, n'est-ce pas? 

N'en n'avais je pas moi-même été sujet, lorsque l'indicible affliction me faisait déclarer des choses que je ne pensais pas vraiment? 

Tout d'un coup, je fus pris par l'impérieux désir de lui dire que je l'aimais, à en perdre la raison, même si hier, alors que furieux qu'elle ait cherché à s'enfuir avec Shakur, j'avais réussis à me persuader du contraire.

Je rouvris les paupières.

Mais, que m'arrivait il au juste ?

L'idée de la blesser comme j'en avais eus l'intention au préalable ne me ravissait plus maintenant.

Quand je disais qu'elle m'ensorcelait!

Je me sentais comme un pauvre pantin entre ses mains. Mon cerveau ne réfléchissant plus en sa présence, se focalisait uniquement sur les sensations qu'elle faisait naître en moi.

Était ce normal de réagir de cette façon ?

De ressentir cette chaleur au plus profond de mon être alors que je devrais être furieux qu'elle me crache son venin en plein visage? 

Elle m'avait manipulé pour mieux s'enfuir avec mon rival, l'avais je déjà oublié?

Pourquoi restais je aussi serein devant elle comme si toute mon existence n'était que chaos et que seule sa présence pouvait m'apporter la paix dont j'avais besoin.

Une part de moi voulut lui hurler en retour que je n'en avais strictement rien à faire de sa haine, qu'elle était mon esclave, ma possession, mon bien, et qu'elle ferait exactement ce que moi, je voudrais. 

Mais les mots prisonniers de ma gorge formèrent une boule serrée que je ne parvenais pas à déloger. Puis, là, parmi ce maelstrom de tourments qui me tiraillait dans tous les sens, je pris conscience de son odeur de vanille épicée.

Et ça m'acheva.

Un fourmillement insoutenable enfla en moi comme un raz-de-marée. Si je restais près d'elle je ne pourrais pas résister longtemps à cette fièvre qui me gagnait en puissance. Ma volonté, trop faible serait insuffisante pour contenir l'élan inexplicable qui me poussait sans cesse vers elle.

Pourquoi personne ne m'avait jamais rien dit?

Pourquoi ignorais je tout de l'attirance inexplicable qu'un être pouvait exercer sur soi?

Pourquoi croisait on des centaines de femmes sans qu'aucune ne suscite votre intérêt tandis qu'une seule, au détour d'une banale rencontre pouvait vous ravager au point que seul le désir de la posséder vous obnubilait, à en mourir.

Je n'arrivais plus à me détacher d'Ysaé.

J'avais passé toutes mes nuits le nez enfoui dans son cou pour pouvoir la respirer pendant que je la prenais obsessionnellement. 

Pourtant à chaque matin, ça n'avait jamais été suffisant.

Je restais toujours en proie à ce vertige, à ce besoin lancinant d'elle, loin d'être assouvi.

Un lien s'était formé entre nous, plus puissant que le désir.

Et je le ressentais profondément à cet instant. C'était viscéral. Inutile de se voiler la face. Je devais être en accord avec moi-même sur ce sujet. 

Ysaé était devenue ma raison de vivre.

La seule source d'émotion dans le désert de mon existence aride et peuplée de fantômes. 

Tout ce qui lui arrivait, m'arrivait. Tout ce qui la faisait souffrir, me faisait souffrir. 

Brutalement ramené à la réalité, je m'écartai d'elle d'un bond, éprouvant l'impérieux besoin de remettre de la distance entre elle et moi, pour m'empêcher de sombrer dans cette clairière où n'importe qui aurait pu nous voir.

-Les esclaves sont déjà retournés à leurs corvées. Tu as intérêt à les rejoindre avant que les hommes du Capitaine te trouvent, murmurais je la voix rauque en m'en allant, alors que le désir de la prendre amoureusement et la fureur de la vaincre bestialement se confondaient en moi.

Le trajet jusqu'à la grande maison me demanda un tel effort que je fus plusieurs fois obligé de m'arrêter pour me calmer. 

Lorsque je pénétrai dans mes appartements tout mon corps souffrait. 

La haine qui transparaissait dans l'expression d'Ysaé, parasitant toujours mon cerveau me donnait la nausée. Refermant la porte derrière moi, je me rendis directement dans la salle d'eau. Et en appui sur la vasque pour ne pas flancher, je confrontai mon reflet dans le miroir. 

Bon sang que m'arrivait il? 

La rage qui découlait de sa trahison s'était volatilisée comme par magie. Tout ce que je sentais c'était son odeur sur moi. Ce parfum de vanille épicé qui me tordait les tripes. 

Je tremblai, en proie aux délices. Enfouissant mes mains dans l'eau froide, je m'en aspergeai le visage pour me remettre les idées en place. Le cœur battant, je restai là face à mon reflet. L'eau dégoulinant le long de mes joues, glissait sur mon cou, mouillait ma chemise.

Un coup frappé à ma porte me sortit de ma transe.

-Oui!

-Mr Salvor, dit Reynolds, confus de pénétrer dans mes appartements. Excusez moi de vous déranger. Votre père vous demande de le rejoindre sans attendre dans son bureau. 

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant